La saison ardente

Malgré sa proximité avec l’équateur, la Valoki est influencée par les changements de saison de l’hémisphère nord. Lorsque l’hiver arrive, apportant des ténèbres permanentes sur le cercle polaire et un froid glacial sur l’ensemble du Tharseim, en Valoki débute la saison ardente.

Tandis que la Nemosia bénéficie d’un climat doux et varié à cette période, avec une baisse sensible des températures et de rares chutes de neige sur les plus hautes montagnes, l’hiver pour les Valokins représente une période de sécheresse caniculaire. Le thermomètre témoigne d’une chaleur constante tout au long de l’année, mais si les pluies quasi-quotidiennes apportent une certaine moiteur ou fraîcheur le reste du temps, pendant la saison ardente, l’absence d’humidité donne à cette chaleur une force écrasante.

Pendant trois mois, et davantage certaines années, il ne tombe pas une goutte de pluie sur la Valoki. Les nuages eux-mêmes se font rares et au fil des semaines s’installe une sécheresse éprouvante.

Alors que les premiers signes de la saison ardente se font sentir, les pluies se raréfiant, la végétation luxuriante se lance dans une floraison explosive qui fait le bonheur des insectes butineurs et enchante les yeux des humains.Les arbres-montagne ne sont pas en reste, leurs immenses corolles parent alors la forêt de superbes couleurs.

 

C’est à ce moment que les aporims migratrices, après s’être gavées de miel, quittent la Valoki pour se rendre dans les jungles équatoriales du Kunvel.

Puis les végétaux fructifient alors que leurs feuillages perdent leur éclat émeraude, et arrive le temps des moissons et des récoltes.

Pour les Valokins, c’est la saison la moins appréciée de l’année. Alors qu’une partie de leurs précieux alliés insectes déserte la région, dans les champs comme dans les forêts, ils s’affairent à récolter le fruit de leur labeur sous un soleil brûlant. Les Sœurs Melishaï recueillent aussi le précieux miel restant dans les ruches temporairement abandonnées.

Cette longue période de sècheresse convient en revanche très bien à un grand nombre d’arthropodes géants et en particulier les carnivores. Rares sont les insectes et les arachnides appréciant l’élément liquide. La saison ardente semble donner un regain d’énergie aux prédateurs, alors que leurs proies s’affaiblissent. Il ne fait pas bon traîner dans les contrées sauvages qui ne sont pas sous la protection des Sœurs Ophrys et des insectes sociaux avec lesquels elles ont forgé leurs alliances. C’est encore plus vrai à cette époque de l’année.

L’eau est rationnée pendant la saison ardente, on utilise des puits et de grands réservoirs qui ont collecté les eaux de pluie le reste de l’année. Les roches karstiques de la province de Leda, la capitale, bénéficient également d’un impressionnant réseau de grottes et de nappes phréatiques souterraines. Dans les villes, les villages et les monastères de l’ordre Ophrys, d’ingénieux systèmes de canaux et de bassins d’épuration permettent d’acheminer cette précieuse eau qui reste consommable et fraîche, même issue des réservoirs, jusqu’au retour très attendu des précipitations.

 

(crédit photo : Bernard Gagnon)

 

L’usage du feu est strictement interdit à l’extérieur, la végétation jaunissant jusqu’à devenir craquante, le risque d’incendies s’en trouve dangereusement accru. Certains réservoirs placés en hauteur sur des arbres-montagne ou les flancs des monastères de l’ordre Ophrys sont réservés au combat d’éventuels feux dévastateurs, qui dans le passé marquèrent tragiquement l’histoire des Valokins.

Pendant ce temps, loin au nord, leurs ennemis ancestraux font face à un hiver polaire. Les Thars affrontent chaque année des températures négatives sur l’ensemble de leur territoire, des chutes de neige abondantes et des tempêtes balayant l’immense nation nordique avec violence.

Pour les habitants du Calsynn, c’est la période où la chance de voir tomber la pluie est envisageable. Les nuits sont froides, le gel n’est pas rare dans le désert, mais le soleil s’avère également plus supportable.

C’est en Nemosia que l’hiver est sans doute le moins rude. La baisse sensible des températures y apporte une certaine fraîcheur, avec parfois des chutes de neige sur les plus hautes montagnes. D’autres articles reviendront sur les climats de ces pays.

À la fin de la saison ardente, les forêts valokines sont méconnaissables tant les végétaux sont secs, jaunes voire bruns. Sous les pieds, les tapis de feuilles mortes font un bruit de papier froissé. On ne perçoit même plus l’odeur de l’humus dans la forêt.

Les cours d’eau font pâle figure, certaines sources sont taries. Tout comme la végétation sauvage, les champs ressemés par les cultivateurs attendent désespérément le retour des pluies pour verdir à nouveau.

Puis un jour les nuages s’amoncellent et enfin, l’eau revient comme une bénédiction du ciel.

 

 

La saison ardente quitte la Valoki comme elle s’y installe, progressivement. Une averse par-ci, un orage par-là, avant les véritables pluies diluviennes coutumières des tropiques. Il existe aussi une saison des cyclones (contre lesquels les constructions de terre maçonnée des terims offrent des abris solides).

Mais en attendant pour les Valokins, le retour des pluies représente une période de festivités dont l’apogée est marquée par le retour des aporims migratrices.

Comme répondant à un puissant appel collectif, toutes les colonies des butineuses rejoignent la Valoki au même moment. Des milliers d’insectes volants noircissent le ciel avant de retrouver leurs ruches respectives dans les troncs des luvalianes.

Chaque Valokin sait alors que la saison ardente et bel et bien terminée. Les précieuses productrices de miel vont à nouveau accompagner les humains de leur présence bienveillante, remplir de vie les champs et les forêts. Les vallées tropicales vont encore regorger d’eau, de verdure, de fleurs et de fruits, comme si la nature n’était qu’abondance.

Jusqu’à l’année prochaine.

À l’époque de Naëlis et Elorine, des changements climatiques se font sentir dans tout l’hémisphère. La saison ardente tarde à venir chaque année en Valoki, mais elle s’avère aussi de plus en plus longue. Partout les saisons sont perturbées.

Changements naturels ou conséquences des activités humaines ? Quoi qu’il en soit, les signes convergent pour annoncer des transformations sans précédent, du jamais vu pour les humains qui peuplent ce monde. Les acquis des anciennes générations deviennent instables et personne ne sait vraiment jusqu’où cela peut aller.

Comme le souligne un dicton valokin, « tant que les aporims reviennent, ça pourrait être pire. »