(Il m’a semblé intéressant de vous décrire brièvement le contexte de cette découverte.
Un seul article aurait été un peu long, aussi je vous invite à lire le texte précédent avant de commencer celui-ci).
(crédit photo : Shang Trinh)
Un matin de l’année 79, Shaïli Angama trouva les débris d’une cellule de miel dans la forêt valokine. Des myrmes l’avaient détruite accidentellement en essayant de la transporter dans leur nid après avoir pillé une ruche d’aporims. La jeune femme réussit à récupérer le miel qu’elle filtra et goûta.
Ce miel délicieux eut sur elle un effet étrange. Elle se sentit plus sensible, plus alerte, ses sens semblaient exacerbés. Les couleurs étaient plus vives, les sons plus complexes. Elle voyait clair dans les émotions et les intentions de son entourage. Mais l’effet s’estompait vite.
Elle décida d’abord de garder sa découverte pour elle et se mit à consommer d’infimes portions de son pot de miel pour le faire durer, un peu chaque jour.
Une semaine plus tard, elle vint spontanément en aide à une aporim qui s’était blessée accidentellement contre un champ de force. Complètement sonné par la décharge d’énergie, l’hyménoptère de trois mètres se laissa soigner sans chercher à se servir de son dard ou de ses mandibules.
Shaïli appliqua des pansements régénérateurs sur les brûlures de l’insecte et lui apporta une grande fleur mellifère pour la nourrir de son nectar. Alors que son état aurait dû nécessiter plusieurs jours de soins, quelques heures plus tard, les blessures avaient miraculeusement guéri et l’aporim s’envola pour rejoindre sa ruche.
Plusieurs jours passèrent encore.
La jeune femme était sortie avec un groupe de cueilleurs quand elle rencontra à nouveau cette aporim. Elle adjura ses compagnons de ne rien faire. À la surprise générale, l’insecte se posa doucement devant la jeune femme et toucha son front avec le bout de ses antennes. Il semblait lui témoigner une forme de gratitude.
Shaïli s’amusa quelques temps à faire croire à ses compagnons qu’elle avait toujours eu ce don et qu’elle l’avait caché.
La butineuse géante et l’humaine prirent l’habitude de se retrouver en cachette. Un jour elle l’emporta même dans les airs, sur son dos. Shaïli fut la première humaine à entrer à l’intérieur d’une ruche d’aporims.
Mais son secret fut découvert, elle dut finalement avouer aux autres explorateurs que ses nouvelles facultés ne se manifestaient qu’en consommant ce miel. Elle affirmait pouvoir dialoguer avec cette créature, certains la croyaient.
Palden Angama, le chef des explorations en Valoki, réagit très mal aux révélations de sa sœur. Il refusa en bloc l’idée que des insectes puissent bénéficier d’une forme d’intelligence permettant une communication entre eux et les humains. Le don de sa sœur cadette n’était à ses yeux qu’une chimère, un délire. À distance, il fit part à leur père de son inquiétude sur sa santé mentale.
Pourtant, Shaïli continuait de multiplier les exploits. Elle se brouilla avec sa famille en refusant d’obéir quand son père ordonna qu’elle rentre dans le Nord.
Deux clans commencèrent à s’opposer parmi les explorateurs. Les partisans de Shaïli tentèrent de prendre contact avec d’autres arthropodes, on s’aperçut rapidement que seuls les insectes sociaux avaient développé des formes de communication aussi complexes.
Certains humains étaient plus sensibles que d’autres aux effets de ce miel particulier, surtout parmi les femmes. Tous ressentaient ses propriétés relaxantes, on lui découvrit aussi de nombreuses vertus médicinales, mais rares étaient les personnes qui pouvaient bénéficier de l’amplification psychique que ce miel apportait.
Shaïli baptisa cette énergie métapsychique le « Seid ».
Pour ceux qui y étaient sensibles, il permettait de communiquer ou d’interagir avec les êtres vivants, en particulier au niveau du champ émotionnel. Cette interaction des émotions pouvait se manifester jusqu’au plan physique, renforcer les défenses d’un organisme, accélérer la cicatrisation, neutraliser des toxines ou ralentir une infection. On réalisa bientôt que ces facultés pouvaient tout autant être utilisées sur les humains.
Les tensions devinrent de plus en plus fortes entre les deux clans, entre le frère et la sœur.
Palden commit l’erreur de vouloir imposer sa vision par la force. Quand la situation dégénéra, toute la ruche des aporims prêta main forte à ses nouveaux alliés et les sceptiques furent balayés. Ceux qui refusaient de reconnaître l’existence du Seid furent chassés de Valoki. Palden regagna le Tharseim avec ses hommes, le cœur plein de rage.
Shaïli ne renonça jamais, et ne se réconcilia jamais avec sa famille.
Des hommes restèrent avec ces femmes mystiques pour les soutenir et partager leur idéologie, certaines femmes n’ayant aucun don pour le Seid choisirent également de rester dans cette communauté pour tenter un nouveau chemin. Le groupe accepta de nouveaux arrivants et prit de l’importance jusqu’à devenir une véritable société.
Sans doute en raison de leur fonctionnement matriarcal, les femmes eurent beaucoup plus de succès que les hommes avec les insectes sociaux. Même les rares hommes initiés. Ces femmes se spécialisèrent dans les relations avec les insectes et prônèrent le retour à une vie naturelle. Elles développèrent une société basée sur la coopération et l’harmonie avec la nature.
Par la consommation de ce miel fabuleux, tout comme leur guide, les plus sensibles développèrent des talents de guérison par apposition des mains. À force d’expériences et de recherches, elles déclinèrent l’utilisation du Seid en techniques appelées Zoë-meta-kheria (« la vie par les mains »). À travers l’apprentissage de ces techniques, les initiées parvenaient à lire les auras des êtres vivants pour déterminer leur état émotionnel, mais aussi leur santé psychologique et physique. Elles pouvaient interagir avec ces fluides énergétiques pour apaiser et soigner.
Les techniques que Shaïli transmit à ses premières disciples se développèrent, leur organisation devint plus complexe. Chacune des quatre espèces d’insectes sociaux devint progressivement l’alliée des initiées. Un monastère fut fondé.
Ainsi naquit l’ordre Ophrys. Ainsi ne fit que grandir le ressentiment entre la Valoki et le Tharseim, une opposition née du déchirement d’un frère et d’une sœur qui pourtant s’adoraient.
Shaïli Angama est restée une légende en Valoki. Elle a vécu très âgée. En sa mémoire depuis, chaque Sœur Ophrys confirmée, en parvenant à l’âge adulte (19 ans), reçoit sa première pierre d’Ambremiel et une robe de couleur bleue correspondant à sa spécialité.
En devenant ainsi membre officiel de l’ordre, chaque Sœur acquiert le titre de Shaïli.
(illustration : Nigisu)
Dans les semaines à venir, j’aborderai de manière plus approfondie la société valokine, l’organisation de l’ordre Ophrys et les utilisations du Seid.
Mais d’ici là, le prochain article vous emmènera aux confins de l’hémisphère, sur l’équateur, dans un endroit où même les Sœurs Ophrys ne peuvent survivre. Un territoire insurmontable, toxique, mortel pour les humains. Nous irons à l’entrée des jungles noires du Kunvel.