• Elorine et Naëlis

    Salut à tous.

    Les abonnés du blog (qui ont lu le début du roman) ont déjà commencé à découvrir Elorine et Naëlis.

    En visitant les blogs de certains amis auteurs dont vous avez les liens dans la colonne de droite (je vous invite à regarder, ils sont tous intéressants et tous différents), je me suis dit que ce serait bien de vous parler de mes personnages principaux. Mais il m’a semblé utile de vous familiariser d’abord avec quelques termes spécifiques à cet univers, dans les articles précédents

    Après tout, que serait un roman sans personnages ?

    Ils sont le cœur du scénario, l’axe principal autour duquel les évènements se mettent en place. Leurs compétences, leur caractère, leurs émotions et sentiments, leurs relations entre eux construisent une histoire unique.

    De nombreux auteurs confient que leurs personnages, par moments, n’en font qu’à leur tête. Les miens n’échappent pas à cette tendance. Ils prennent des décisions, réagissent à certains évènements d’une manière que je n’avais pas toujours prévue. Une fois plongés dans l’action, ils agissent à leur façon et enrichissent le déroulement de l’histoire. J’aime beaucoup ces moments où mes idées se développent d’elles-mêmes, comme animées d’une vie propre. Même si ces petites escapades me valent parfois des migraines pour que l’ensemble reste cohérent…

    Passons aux choses sérieuses.

    Je suis allé sur place pour les interroger directement, exprès pour vous. Un peu comme un entretien juste avant le début du roman, pendant l’année 608 du calendrier local. Permettez-moi de vous présenter :

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    Elorine Sequoia

     

    « Oui, même si vous ne faites pas partie de l’ordre, vous pouvez m’appeler Matria Elorine. Dépêchons, je vous prie, mon temps est précieux. Vous voulez connaître mon histoire ? (regard hautain)…

    Ma mère a fui le Calsynn alors qu’elle était toute jeune pour échapper à un mariage forcé. Éprise de liberté, marquée par sa dure condition de femme de clan, elle a traversé la Nemosia sans s’arrêter pour rejoindre le matriarcat. À Leda, la capitale valokine, elle a rencontré mon père. Rien à voir avec les rustres du désert, c’était un homme doux, je crois qu’ils ont été heureux ensemble. Je suis fille unique. Des facilités ont été détectées chez moi pour percevoir le Seid, j’ai donc intégré le monastère à l’âge de quatre ans.

    Je suppose que vous connaissez plus ou moins le parcours d’une Sœur Ophrys, je ne vais pas vous raconter tout mon apprentissage. À ma majorité, j’ai pu choisir la branche des Melishaï et je me suis occupée d’une ruche d’aporims jusqu’à mes trente ans.

    On a aussi trouvé chez moi des talents pour la pédagogie et la diplomatie, que j’ai approfondis. Quand je suis devenue Matria, j’ai été l’une des plus jeunes ambassadrices dans le Tharseim. Je suis restée deux ans là-bas, mon séjour ne s’est pas bien déroulé. J’ai passé ensuite quelques temps dans le Calsynn puis en Nemosia avant de revenir en Valoki.

    Depuis dix ans maintenant, je n’ai plus quitté mon pays natal et je vis dans le monastère principal de l’ordre, près de Leda. Je pense pouvoir dire sans prétention que je suis une des meilleures guérisseuses de la région. J’enseigne aussi mes connaissances à plusieurs Melishaï.

    Ce qui compte pour moi ? La droiture, le travail, le rationnel, la loyauté. Rien ne doit passer avant les intérêts de l’ordre. Je trouve parfois mes consœurs un peu trop émotives. Paradoxe pour une moniale ? Je ne crois pas. Notre sensibilité nous permet d’accéder au Seid, mais savoir maîtriser cette énergie, c’est aussi atteindre un stade de conscience qui se situe au-delà des émotions. Je n’aime pas la sensiblerie. D’ailleurs, je dois dire que certaines de mes élèves me causent du souci à ce niveau.

    En effet, Naëlis par exemple. Vous la connaissez ? Elle est probablement ma meilleure élève et pourtant, elle m’inquiète parfois. Il y a chez elle une sorte de nonchalance naturelle, elle arrive à être insolente sans même s’en rendre compte. Je la surveille de près, celle-ci. Ses talents pour le Seid sont indéniables, elle arrive même à me surprendre. Mais je n’aime pas tellement les surprises.

    Ma vie sentimentale ? Ça ne vous regarde absolument pas. »

     

    > Elle m’a planté là sans autre forme de politesse.

    Mince et grande pour une Valokine, Elorine est le fruit de nombreux métissages. Elle a la peau mate, un visage très fin, des pommettes saillantes et des yeux en amande d’un bleu très clair. Ses cheveux sont lisses et noirs. Âgée de quarante-cinq ans, elle fait partie des meilleures Matria de l’ordre Ophrys et porte trois pierres d’Ambremiel autour du cou.

    C’est une femme posée, intelligente, qui réfléchit avant de s’exprimer ou d’agir. Toujours impeccable, organisée, elle dégage une impression de sagesse, de calme. Elle n’aime pas montrer ses émotions et semble toujours impassible.

    Habile dans les discussions par son sang-froid et son esprit logique, elle peut aussi se montrer autoritaire et faire preuve d’une certaine froideur. Peut-être est-ce dû à cette distance que doivent souvent prendre ceux qui passent leur vie à s’occuper des autres…

    Les Veneris vont lui confier une mission de la plus haute importance, un voyage dangereux pour lequel elle sera accompagnée de sa meilleure élève. Sa relation avec son apprentie, loin de la tranquillité du monastère, deviendra plus délicate que jamais.

     

    ♦ ♦ ♦

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    Naëlis

     

    « Bonjour, je m’appelle Naëlis (sourire). Vous faites une sorte de reportage ? Amusant. Eh bien, je ne suis pas sûre d’être une personne très intéressante… Je n’ai pas beaucoup de temps mais vous avez l’air sympa, je veux bien vous accorder quelques minutes. C’est bizarre, vous me dites quelque chose…

    Je ne vous ai pas donné mon nom de famille pour une raison très simple, je n’en ai pas. J’ai été trouvée tout bébé sur les marches du monastère et recueillie par les Sœurs Ophrys.

    D’où je viens ? Bonne question. Avec mes cheveux blonds et ma peau claire, j’ai pas mal souffert des moqueries de mes camarades quand j’étais Koré. L’adolescence est cruelle… Oui, oui, il est possible que je sois même originaire du Tharseim (soupir). On peut changer de sujet ?

    J’ai toujours vécu dans le monastère principal de l’ordre, près de Leda. J’aimerais beaucoup voyager, découvrir le vaste monde, il doit y avoir tant de belles choses à découvrir… Mais peut-être que je n’en aurai jamais l’occasion. Non, ça ne me rend pas triste.

    J’aime ma fonction, j’adore travailler avec les aporims. Il m’arrive même de préférer la simplicité des insectes. Ils ne connaissent pas le mensonge, quand ils essayent de tromper leur entourage c’est uniquement pour chasser ou se protéger.

    On vous a dit que j’étais très douée ? (rougit) Euh, je pense qu’on peut toujours faire mieux. C’est vrai que j’ai réussi tous les tests il y a deux ans, quand je suis devenue Shaïli. Je ne suis pas la seule… J’aurais pu intégrer n’importe quelle branche de l’ordre et j’ai choisi les Melishaï. Quel bonheur de parcourir le ciel sur le dos d’une aporim !

    Mon avenir ? Je n’aime pas trop y penser. Ce serait un honneur de devenir Matria un jour, mais ça me fait un peu peur. Et puis, je ne sais pas encore si j’aimerais faire des enfants. J’ai le temps c’est vrai. J’ai beaucoup d’admiration pour Matria Elorine, mon mentor, mais je dois avouer que parfois, on a du mal à se comprendre. C’est un vrai glaçon… Elle va le lire votre texte ?

    Ce qui compte pour moi : accomplir mon devoir, le partage, le respect, la joie de vivre. J’ai horreur de l’injustice. Ma Matria me reproche souvent d’être trop émotive, mais c’est aussi cette hypersensibilité qui m’a donné quelques talents. Ce n’est pas toujours facile à gérer. J’aime faire les choses à ma manière, même si des fois ça ne convient pas trop à mes supérieures.

    Ma vie sentimentale ? Vous posez des questions étranges ! Eh bien… comme toutes les moniales de mon âge, je n’ai pas le droit de fréquenter des hommes. Certains sont attirants mais je préfère les filles (sourire). Oui, les relations entre Sœurs sont tolérées si elles restent discrètes. La notion de couple nous est étrangère, nous ne sommes pas censées ressentir des sentiments amoureux. Ça fait partie de notre conditionnement… (pensive)

    D’ailleurs je me demande, comment ça se passe pour celles qui se retirent de l’ordre à trente ans ?… Je demanderai à Matria Elorine.

    Ma meilleure amie s’appelle Liselle, elle est Melishaï aussi. Je l’adore (rougit). Je devine à votre aura et votre petit sourire en coin la question que vous allez me poser. Là, vous devenez vraiment embarrassant ! Je vais être en retard, désolée, il faut que j’y aille.

    À la prochaine. »

     

    > Bon d’accord, c’était un peu indiscret.

    La couleur de son regard est étonnante. Âgée de vingt-et-un ans, Naëlis est pourvue d’un caractère complexe qui déstabilise parfois son entourage. D’ordinaire assez discrète et rêveuse, elle peut parfois se montrer impulsive et il lui arrive de prendre des risques inconsidérés. Sportive, elle aime dépasser ses limites et montre un goût prononcé pour les sensations fortes.

    Esprit indépendant, un peu rebelle, elle a facilement tendance à tout remettre en question. Il lui arrive d’être angoissée. Malgré son intelligence elle est encore ignorante de beaucoup de choses et très naïve sur certains sujets. D’un naturel modeste, elle frise le complexe d’infériorité. Elle n’a pas conscience que sa spontanéité et sa franchise passent parfois pour de l’arrogance aux yeux de ses supérieures.

    Le voyage qu’elle entreprendra avec sa Matria va bouleverser ses croyances et sa vision du monde. Elle devra suivre un chemin difficile qui pourrait bien être sans retour.

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    C’est avec ces deux femmes que vous découvrirez la majeure partie de l’histoire développée dans le roman.

    Dans le prochain article, je vais vous présenter d’autres personnages que je ne vais pas appeler secondaires car certains jouent un rôle très important dans cette histoire. Je les laisserai aussi se présenter eux-mêmes, s’ils veulent bien.

    À très bientôt.



     (images provenant d’ici ou , et au-de)

  • Hiérarchie des Sœurs

    high_priestess_by_to_the_brink-deviant (illustration / photomontage : to-the-brink)

     

     

    Le recrutement

     

    Une Matria de l’ordre Ophrys est envoyée rendre visite à chaque nouveau-né de sexe féminin recensé en Valoki. Le bébé est sondé brièvement, aucun contact n’est nécessaire. Pour les initiées, avec un peu de concentration la sensibilité au Seid est visible dans l’aura des personnes. D’autant plus sur les nourrissons qui n’ont encore développé aucune construction mentale, aucune croyance, aucune barrière. Après quatre ans, il est plus difficile de commencer cet apprentissage, le cerveau devenant moins malléable.

    Pour des parents valokins, la réussite de ce petit test est une immense fierté : leur fille va intégrer l’élite de leur société. Toute orpheline n’ayant pas encore atteint l’âge de cinq ans et montrant des prédispositions au Seid sera également recueillie par les moniales.

     

    catalyst__the_glyph_of_fire_by_psykikraithe-deviantart(crédit image : psykikraithe)

     

     

    Les Nymphes

     

    L’origine du terme est biologique, la nymphe étant le stade intermédiaire de développement de certains insectes entre la larve et l’imago (l’adulte). C’est ce qui se cache dans les chrysalides, les cocons des vers à soie…

    La nymphe symbolise ici l’apprentissage des bases qui vont permettre à la fillette de se métamorphoser, de passer d’une condition ordinaire à un statut privilégié.

    Les nymphes portent des robes brunes. Elles commencent à être éduquées dans l’école du monastère dès l’âge de quatre ans, quatre jours par semaine avec des périodes de vacances régulières. Si elles sont orphelines ou qu’elles viennent d’une région lointaine pour recevoir l’enseignement des Sœurs, elles sont prises en charge en permanence tout en suivant le même parcours scolaire que les autres élèves.

    Éveil des sens à travers des jeux, des promenades dans la nature, le dessin, la peinture, le jardinage et la musique. Apprentissage des bases de calcul, de lecture et d’écriture.

    Les notions de respect et d’harmonie universelle sont inculquées à travers des activités collectives, physiques et intellectuelles. Ces petites filles sont conditionnées dès cet âge pour savoir donner aux autres sans attendre en retour, faire passer les intérêts collectifs avant les préoccupations personnelles, se détacher du désir de possession matérielle ou affective. La notion d’amour universel est primordiale.

    Examen d’aptitudes physiques, intellectuelles, morales et psychiques à l’âge de huit ans. En cas d’échec, l’enfant est exclue de l’ordre et retourne chez ses parents (école ordinaire) mais elle peut évidemment rester en Valoki comme civile. Il existe également un orphelinat et des possibilités d’adoption dans la capitale.

     

    ♦ ♦ ♦

     

    Les Novices

     

    Si l’examen est réussi, la novice suit une formation plus poussée jusqu’à ses douze ans, suivant cinq jours par semaine une initiation à toutes les fonctions différentes occupées par les Sœurs.

    Les novices portent des robes grises. Sous l’autorité de leurs enseignantes elles commencent à consommer du miel pour apprendre à lire les auras des êtres vivants. La culture générale et sportive est poursuivie, parallèlement à l’enseignement moral, l’étude approfondie de la faune et la flore.

    Les émotions sont abordées en détails, l’empathie est encouragée et développée. Les notions de coopération, de responsabilité morale, de respect de la vie et d’harmonie entre les espèces sont au cœur de leur éducation.

    À l’âge de 12 ans, la novice doit passer un nouvel examen au terme duquel, si tout se passe bien, elle devient membre de la sororité en tant qu’apprentie (Koré : « jeune fille » en grec). Les Sœurs enseignantes ont pour mission de sonder l’esprit de la nouvelle Koré pour s’assurer que la poursuite de son initiation corresponde à ses capacités et ses aspirations réelles.

     

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    Les Koré

     

    Après avoir prononcé ses vœux de pureté morale et d’obéissance, une Koré passe le plus clair de son temps entre les études en salle et l’entrainement pratique dans les quatre activités de spécialisation parmi lesquelles elle devra choisir plus tard.

    Pour pratiquer ces activités, elle est sous les ordres directs de quatre Shaïli qui doivent lui transmettre leurs connaissances, elles-mêmes sous l’autorité des Matria.

    La Koré est maintenant obligée de vivre dans le monastère, de suivre l’enseignement des Sœurs et de participer aux activités six jours par semaine, avec un seul jour de quartier libre. La période de vacances est plus réduite, environ quatre semaines par an pour passer du temps en famille. Les orphelines en vacances restent au monastère.

    Les sorties sont autorisées pour les Koré, mais seulement à condition d’être accompagnées par une moniale de rang supérieur. Elles portent des robes vert pâle.

    Sous la protection de leurs enseignantes, les Koré sont amenées à visiter des colonies de chacune des quatre espèces d’insectes sociaux alliées aux Sœurs Ophrys, pour s’habituer à leur présence, apprendre à décrypter leurs auras et se familiariser avec les tâches assumées par les Shaïli.

    Quand elles sont sous l’effet du miel, elles apprennent à lire les intentions des arthropodes, à les apaiser et les faire fuir en projetant des émotions.

    À l’âge de sa majorité, dix-neuf ans, la Koré va devoir passer une nouvelle série d’examens et d’épreuves visant à juger son équilibre psychologique, ses connaissances, sa loyauté et ses capacités métapsychiques. En cas d’échec, elle est exclue de l’ordre. Cette série d’épreuves va aussi lui permettre de choisir sa spécialisation en fonction de ses affinités et aptitudes.

     

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    (crédit image : the-panpiper)

     

    Les Shaïli

     

    Les Shaïli sont les « mains » de l’ordre et sont considérées comme des membres à part entière. Ce sont elles qui s’occupent directement des colonies d’insectes sociaux, des travaux agricoles, des constructions, de protéger la population civile…

    Toujours soumise à ses vœux, la jeune titulaire restera Shaïli pendant onze années dont sept à former des apprenties, tout en poursuivant elle-même sa formation sous l’autorité d’une Matria. Elle apprend à utiliser le Seid sur les êtres humains.

    En tant que membre officiel de l’ordre elle a pour obligation de vivre dans le monastère dans le célibat. Elle reçoit un collier avec une pierre d’Ambremiel des mains de sa Matria.

    L’Ambremiel est le produit d’une cristallisation extrême du miel d’aporims, par un procédé alchimique complexe dont la formule est gardée secrète par les Veneris Matria. Cette minéralisation rend les propriétés du miel permanentes en contact avec la peau des initiées. Les Shaïli ne peuvent porter qu’une seule de ces magnifiques gemmes translucides et dorées. Ces pierres résonnent entre elles, leur amplification s’accumule et elles peuvent s’avérer dangereuses sur un esprit insuffisamment entraîné.

    Avec sa première pierre d’Ambremiel, la Shaïli reçoit également une robe bleue fermée par une petite broche en forme d’insecte. La nuance de la robe et la forme de la broche désignent sa spécialité :

    • Les Nurishaï portent une broche en forme de myrme et une robe turquoise. Omnivores, elles sont spécialisées dans l’agriculture et l’élevage pour la production de nourriture. Étant les moniales les plus polyvalentes, elles assistent aussi fréquemment les autres factions de l’ordre.
    • Les Arcoshaï sont liées aux terims, les insectes bâtisseurs dont les constructions monumentales défient encore les techniques humaines. Végétariennes, elles sont spécialisées dans l’architecture typique de Valoki, construite et rénovée avec l’aide des terims. Elles sont vêtues de robes gris-bleu.
    • Les Ordoshaï portent des robes bleu nuit ou, lorsqu’elles sont en service, des armures de chitine taillées dans des carapaces d’insectes. Alliées des dangereuses vespères volantes, elles sont comme elles frugivores et carnivores. Les Ordoshaï veillent à la sécurité de tous et au respect des lois. Ce sont les seules moniales qui portent des armes.
    • Les Melishaï forment la branche la plus prestigieuse du monastère. Leur broche a la forme d’une aporim, elles portent des robes bleu pastel. Végétariennes, elles s’occupent de la production du miel et de la bonne santé des ruches. De toutes les moniales, elles sont les mieux disposées pour pratiquer les techniques Zoë-kheria, la guérison par le Seid. Toutes les Matria savent soigner par apposition des mains, mais celles qui ont suivi leur formation en tant que Melishaï sont les plus douées dans ce domaine.

    Après ses onze années de service, la Shaïli peut transmettre son titre à sa meilleure apprentie et devenir une Matria à son tour, à trois conditions : elle doit passer avec succès une nouvelle série d’épreuves, il faut que sa supérieure directe la considère digne de cette fonction, et qu’elle-même souhaite prolonger ses vœux au service de l’ordre.

    Si elle le désire, la Shaïli arrivée à trente ans peut choisir de quitter l’ordre Ophrys, renoncer à ses vœux, se marier et avoir des enfants, sans que cela porte atteinte à son image dans la société. Cela implique également qu’elle restitue la pierre d’Ambremiel en sa possession, perdant ainsi la majeure partie de ses pouvoirs. Elle sera la bienvenue partout en Valoki, trouvera facilement du travail et pourra obtenir l’aide des Sœurs en cas de besoin.

    Les anciennes Sœurs Ophrys rejoignant la vie civile constituent une partie des mères de famille du pays. Certaines préfèrent parcourir le monde ou s’investir dans d’autres activités, leurs talents de guérisseuses sont amoindris mais toujours appréciés. Parmi les meilleures sages-femmes on trouve souvent d’anciennes moniales qui ont quitté l’ordre par choix à l’âge requis.

     

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    Les Matria

     

    Les Matria sont les « épaules » de l’Ordre. Elles décident et agissent sous l’autorité des Veneris Matria à qui elles doivent rendre des comptes. Toutes les Matria sont âgées de trente ans minimum. Elles gardent ce statut à vie, sauf si elles parviennent à former une nouvelle Matria, devenant alors Veneris Matria (la plus haute autorité).

    Ces femmes ont choisi de vouer leur vie entière à l’ordre Ophrys, et renoncent donc à faire des enfants ou à vivre en couple jusqu’à leur mort. Cependant elles ont le droit d’avoir une vie sexuelle discrète (en-dehors du monastère si l’objet de son désir est un homme), avec l’obligation d’absorber l’élixir de Daruba qui les rend irrémédiablement stériles.

    L’obtention de ce statut nécessite un long entretien avec l’ensemble du Conseil Veneris, pendant lequel toute la vie de la postulante est passée au crible. La future Matria est questionnée, sondée psychiquement, analysée, déstabilisée par sa propre supérieure et toutes les Veneris Matria réunies. Cet examen est impossible à tromper et si le cœur de la prétendante n’est pas sincère elle sera chassée de l’ordre, voire bannie dans le Kunvel pour les cas jugés les plus graves (meurtre, manipulation, trahison…).

    Qu’une Shaïli choisisse de devenir Matria ou qu’elle renonce à ses vœux, lorsqu’elle atteint l’âge de trente ans, elle doit prendre une décision irrémédiable.

    Le statut de Matria est difficile à dépasser et ces dernières sont en général âgées quand (et si) elles deviennent Veneris. La plupart restent Matria à vie, car il est de plus en plus fréquent que les Shaïli trentenaires renoncent à leurs vœux après toutes ces années de service.

    Les Matria sont vêtues de blanc et portent au moins deux pierres d’Ambremiel, parfois davantage en fonction de leur mérite.

    Leurs rôles peuvent être très variés et sont attribués selon leurs compétences. Elles sont chargées de faire appliquer les ordres du Conseil Veneris, d’assurer le bon fonctionnement de la société valokine, de veiller à la santé et la sécurité de la population…

    Les meilleures pédagogues enseignent leurs connaissances à plusieurs élèves, dont le rang dépend de leur propre niveau de maîtrise dans une discipline.

     

    nami_dragon_s_magic_circle_by_namidragon-d2kmxbx-deviantart(image de Nami Dragon)

     

     

    Les Veneris Matria

     

    Elles sont l’autorité suprême des monastères, « la tête » de l’ordre. Depuis quelques décennies elles sont de moins en moins nombreuses et sont toutes âgées. Elles seules connaissent le secret de fabrication des pierres d’Ambremiel.

    Elles portent la même robe blanche que les Matria mais ornée d’un liseré arc-en-ciel.

    Les Veneris possèdent au minimum trois pierres d’Ambremiel chacune. Elles ont des visions prémonitoires et sont capables d’unir leurs forces pour projeter des ondes métapsychiques sur de longues distances.

    On raconte qu’elles se relayent en permanence lors de méditations collectives pour diffuser des émotions apaisantes sur tout leur territoire en le surveillant mentalement. Cela explique en partie la bonne cohabitation des Valokins avec les arthropodes géants, la tranquillité qui règne dans ce pays pacifique et le fait que leurs voisins n’ont jamais pu les envahir.

    Les Veneris accordent les promotions, prononcent les sanctions et les expulsions. Toute Sœur prétendant à un rang supérieur doit passer ses épreuves finales dans la salle du Conseil Veneris.

     

     ♦ ♦ ♦

     

    Dès l’obtention du statut de Koré à douze ans, les moniales apprennent à décrypter l’aura des êtres vivants. Les Sœurs Oprhys peuvent créer une interaction sur le plan émotionnel avec n’importe quel humain ou animal. Elles ressentent les émotions et les intentions des êtres qu’elles sondent (empathie), et peuvent projeter certaines émotions dans l’esprit des autres (sympathie).

    Elles provoquent inévitablement un sentiment de respect très puissant sur les êtres qui sont à leur portée. Les moniales confirmées sont capables de faire disparaître temporairement les émotions négatives et donc la violence dans leur entourage. C’est un grand pouvoir.

    Mais le Seid n’a pas encore livré tous ses secrets…

    colored_universal_magic_circle_by_xyee-deviantart (crédit image : Xyee)

     

    Vous connaissez maintenant la hiérarchie et une partie de l’organisation de l’ordre Ophrys à l’époque du roman (début du 7ème siècle). Mercredi prochain, il sera temps de vous présenter mes personnages principaux.

    Portez-vous bien, à bientôt.

     



     


  • Kunvel

     

    « Aujourd’hui je vais mourir. Aujourd’hui, mes Sœurs vont me livrer au Kunvel.

    Le dirigeable qui m’emmène s’élève au-dessus de la mer Serpentine alors que nous quittons les forêts valokines. Les liens qui m’entravent m’empêchent de me tourner pour jeter un dernier regard en arrière, un dernier regard vers mon pays. Des larmes roulent sur mes joues.

    Comme je regrette !

     

    Le jugement a été prononcé, ma culpabilité établie. Il est trop tard pour espérer la clémence du Conseil Veneris. C’est la vérité, j’ai utilisé le Seid au détriment d’autres personnes. J’ai abusé de mes pouvoirs, j’ai manipulé des esprits faibles, j’ai influencé leurs émotions à mon avantage personnel. J’ai trahi l’ordre Ophrys et me voilà condamnée à mort.

    Mes chères consœurs, mes bourreaux. Elles ne m’accordent même pas un regard. Je pleure seule avec le poids de mes remords. Le dirigeable s’élève de plus en plus au-dessus de la bande d’eau salée qui s’étire à perte de vue en sinuant au pied de la chaîne de Parx. Devant nous, les immenses montagnes bleues semblent me toiser de leur hauteur majestueuse.

    Le froid me saisit alors que nous atteignons les montagnes en continuant à prendre de l’altitude. Il va nous falloir passer un col élevé entre les sommets masqués par les nuages. Loin sur notre droite, un volcan crache en continu un énorme panache de fumée noire. Je tremble alors que nous franchissons le col, fascinée par les aiguilles de roches bleu nuit et noires, les pics et les falaises où s’accrochent des lambeaux de nuages disloqués.

    Le dirigeable traverse une nappe nuageuse avant de plonger le long du versant sud. Pour la première fois de ma vie, j’aperçois la canopée des jungles noires en retenant mon souffle.

     

    Les arbres-montagne du Kunvel ne sont pas comme ceux qui poussent en Valoki. Leurs branches torturées s’élèvent au-dessus des brumes rougeâtres comme de monstrueuses  mains griffues prêtes à saisir le dirigeable. J’entends des sons inquiétants, je sens des mouvements dans la jungle grouillante d’horreurs indicibles. Tout ici est étrange, mystérieusement effrayant, envoûtant. Nous entrons dans un territoire qui dépasse l’entendement humain.

    Après le froid des montagnes, la chaleur des jungles équatoriales est suffocante. Le navire volant s’immobilise à la verticale d’un arbre plus haut que les autres. Les guerrières Ordoshaï qui m’escortent sont nerveuses, elles ne prennent pas le risque d’approcher trop près des cimes des arbres dont les formes tourmentées et les couleurs lugubres me bouleversent, me terrorisent.

    Je sais le sort qui m’attend.

    Mes gardiennes attachent une corde à ma ceinture et me poussent au bord du bastingage. Juste avant que je bascule dans le vide, elles détachent mes poignets. Quelle pitié ! Comme si cela allait changer quelque chose à mon sort. Elles se donnent bonne conscience. Je cherche leurs regards mais elles fuient le mien. Ça y est, je descends lentement vers les horribles griffes végétales qui vont m’engloutir.

    J’ai peur. Tout en bas, dans la noirceur opaque qui s’étend sous la canopée impénétrable, je devine les brumes rougeâtres qui s’élèvent lentement du sol. Le brouillard toxique est en train de remonter. S’il parvient jusqu’à moi, je pourrai peut-être mourir empoisonnée avant d’être dévorée vivante par les monstres qui hantent le Kunvel.

    Je traverse des feuillages coupants qui lacèrent mes vêtements, un suc corrosif attaque ma peau. Puis mes pieds se posent sur une énorme branche. Presque aussitôt, la corde qui me retenait tombe à côté de moi.

     

    Je lève les yeux vers le dirigeable qui s’éloigne. Veinardes. On raconte que parfois, même les geôlières ne rentrent pas quand elles emmènent un ou une condamnée dans cet enfer.

    Je me plaque contre le tronc colossal. Mes vêtements sont détruits, ma peau est couverte d’entailles et de cloques brûlantes. L’écorce ne semble pas vénéneuse, je me blottis dans une petite cavité. Je sens des mouvements partout autour, les branches s’agitent. Je perçois des présences, des mouvements d’une rapidité surprenante. Mon cœur s’emballe. Il faut que je maîtrise ma respiration, je dois me faire toute petite, me fondre dans le paysage. Je dois vivre.

    J’oublie ma douleur. Dans une attitude réflexe je me concentre pour projeter une vague apaisante autour de moi. Geste dérisoire, d’autant qu’on m’a retiré ma pierre d’Ambremiel. Le Seid ne me sera d’aucun secours ici. Et maintenant je ressens précisément pourquoi. Les créatures sanguinaires que j’ai touchées avec mes ondes ne sont pas insensibles, elles baignent dans le Seid. Elles le boivent, le mangent, le respirent. Il est partout ici. Il faudrait les forces réunies de dix Sœurs comme moi pour espérer affecter leur état émotionnel. Je suis impuissante.

    Ma gorge est irritée, j’ai des vertiges. Il me semble que l’arbre respire. Je vois des plantes ramper sur les branches comme des vers. L’une d’elles se jette sur moi, j’arrive à la lancer dans le vide avant qu’elle ne s’agrippe à mon visage avec sa bouche avide.

    Bon sang, des plantes qui se déplacent ! Je suis dans un cauchemar éveillé. Je ne vois pas encore la brume toxique autour de moi mais je sens déjà sa proximité. Ma tête tourne. Ou serait-ce la sève vénéneuse de cet arbre aux feuilles coupantes qui m’empoisonne ?

    Les monstres m’ont repérée. Ils approchent, ils escaladent l’arbre titanesque. Je sens leur présence furtive dans les feuillages violacés. Ils hésitent, ils m’évaluent. Ils sentent ma peur.

    Je me recroqueville en tremblant. La terreur me fait perdre tout contrôle. Un liquide chaud coule entre mes cuisses. Ma propre respiration me brûle la gorge. Je suffoque.

    Je n’aurai pas le temps de mourir à cause du poison végétal. C’est trop tard. Ils sont là. »

     

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    ♦♦♦

     

    Cette histoire s’est déroulée en 555. À l’époque du roman, cinquante-trois ans plus tard, les Sœurs pratiquent encore cette ancienne coutume remontant aux premiers temps de l’ordre Ophrys.

    Au sud de la Valoki, les jungles du Kunvel sont extrêmement denses, obscures et dangereuses. Des brumes toxiques recouvrent le sol en permanence. Les inhaler provoque d’abord une sensation d’engourdissement, puis des nausées et des fièvres pouvant aller jusqu’à des hallucinations violentes avant de provoquer la mort. On ne sait ni d’où elles proviennent, ni comment les espèces résidant sur place ont pu s’y adapter.

    Des créatures furtives chassent nuit et jour dans le Kunvel, tapies au milieu des plantes carnivores et des vapeurs empoisonnées. On suppose qu’il s’agit d’insectes, mais personne n’est jamais revenu des terribles jungles pour décrire ce qui vit là-bas.

    L’espérance de vie moyenne est de quelques minutes au niveau du sol pour un humain, y compris avec un masque respiratoire. Au-dessus des brumes toxiques, dans les arbres, le délai de survie semble rallonger proportionnellement à la hauteur, mais ne dépasserait pas quelques heures dans les meilleurs cas.

     

    Pour une raison inconnue, tous les appareils électriques et les moteurs tombent en panne dès qu’on franchit les montagnes de Parx, comme vidés de leur énergie. Plus aucun objet technologique ne fonctionne sur l’équateur.

    On suppose que les créatures qui le peuplent sont insensibles au Seid car les Sœurs Ophrys y meurent comme les autres humains. Le bannissement dans le Kunvel est le pire châtiment qui puisse être infligé à un criminel en Valoki, équivalent à la peine de mort.

    On peut survoler l’orée du Kunvel lors de rapides passages à dos d’insecte volant, ou à bord d’un ballon dirigeable, mais tous ceux qui ont tenté de s’enfoncer dans les jungles par les airs ont également disparu. Les violentes pluies quotidiennes et les nombreuses tempêtes rendent les expéditions aériennes très improbables, et pour ne rien faciliter, les insectes domestiqués montrent de grandes réticences à s’y aventurer.

     

    On ne sait presque rien du Kunvel, les humains se sont implantés sur tout l’hémisphère nord et ils ont fini par renoncer à le conquérir.

    Il est devenu synonyme de l’Enfer dans les croyances populaires.

     

    8021150144_056bf65bcc_o_flickr-Dams999(illustration : Dams999)

     

     


     


     


  • La découverte du Seid

    (Il m’a semblé intéressant de vous décrire brièvement le contexte de cette découverte.

    Un seul article aurait été un peu long, aussi je vous invite à lire le texte précédent avant de commencer celui-ci).

     

    6054591322_3ff046d141_o (crédit photo : Shang Trinh)

     

    Un matin de l’année 79, Shaïli Angama trouva les débris d’une cellule de miel dans la forêt valokine. Des myrmes l’avaient détruite accidentellement en essayant de la transporter dans leur nid après avoir pillé une ruche d’aporims. La jeune femme réussit à récupérer le miel qu’elle filtra et goûta.

    Ce miel délicieux eut sur elle un effet étrange. Elle se sentit plus sensible, plus alerte, ses sens semblaient exacerbés. Les couleurs étaient plus vives, les sons plus complexes. Elle voyait clair dans les émotions et les intentions de son entourage. Mais l’effet s’estompait vite.

    Elle décida d’abord de garder sa découverte pour elle et se mit à consommer d’infimes portions de son pot de miel pour le faire durer, un peu chaque jour.

     

    Une semaine plus tard, elle vint spontanément en aide à une aporim qui s’était blessée accidentellement contre un champ de force. Complètement sonné par la décharge d’énergie, l’hyménoptère de trois mètres se laissa soigner sans chercher à se servir de son dard ou de ses mandibules.

    Shaïli appliqua des pansements régénérateurs sur les brûlures de l’insecte et lui apporta une grande fleur mellifère pour la nourrir de son nectar. Alors que son état aurait dû nécessiter plusieurs jours de soins, quelques heures plus tard, les blessures avaient miraculeusement guéri et l’aporim s’envola pour rejoindre sa ruche.

    Plusieurs jours passèrent encore.

     

    La jeune femme était sortie avec un groupe de cueilleurs quand elle rencontra à nouveau cette aporim. Elle adjura ses compagnons de ne rien faire. À la surprise générale, l’insecte se posa doucement devant la jeune femme et toucha son front avec le bout de ses antennes. Il semblait lui témoigner une forme de gratitude.

    Shaïli s’amusa quelques temps à faire croire à ses compagnons qu’elle avait toujours eu ce don et qu’elle l’avait caché.

    La butineuse géante et l’humaine prirent l’habitude de se retrouver en cachette. Un jour elle l’emporta même dans les airs, sur son dos. Shaïli fut la première humaine à entrer à l’intérieur d’une ruche d’aporims.

    Mais son secret fut découvert, elle dut finalement avouer aux autres explorateurs que ses nouvelles facultés ne se manifestaient qu’en consommant ce miel. Elle affirmait pouvoir dialoguer avec cette créature, certains la croyaient.

     

    Palden Angama, le chef des explorations en Valoki, réagit très mal aux révélations de sa sœur. Il refusa en bloc l’idée que des insectes puissent bénéficier d’une forme d’intelligence permettant une communication entre eux et les humains. Le don de sa sœur cadette n’était à ses yeux qu’une chimère, un délire. À distance, il fit part à leur père de son inquiétude sur sa santé mentale.

    Pourtant, Shaïli continuait de multiplier les exploits. Elle se brouilla avec sa famille en refusant d’obéir quand son père ordonna qu’elle rentre dans le Nord.

     

    Deux clans commencèrent à s’opposer parmi les explorateurs. Les partisans de Shaïli tentèrent de prendre contact avec d’autres arthropodes, on s’aperçut rapidement que seuls les insectes sociaux avaient développé des formes de communication aussi complexes.

    Certains humains étaient plus sensibles que d’autres aux effets de ce miel particulier, surtout parmi les femmes. Tous ressentaient ses propriétés relaxantes, on lui découvrit aussi de nombreuses vertus médicinales, mais rares étaient les personnes qui pouvaient bénéficier de l’amplification psychique que ce miel apportait.

    Shaïli baptisa cette énergie métapsychique le « Seid ».

    Pour ceux qui y étaient sensibles, il permettait de communiquer ou d’interagir avec les êtres vivants, en particulier au niveau du champ émotionnel. Cette interaction des émotions pouvait se manifester jusqu’au plan physique, renforcer les défenses d’un organisme, accélérer la cicatrisation, neutraliser des toxines ou ralentir une infection. On réalisa bientôt que ces facultés pouvaient tout autant être utilisées sur les humains.

     

    Les tensions devinrent de plus en plus fortes entre les deux clans, entre le frère et la sœur.

    Palden commit l’erreur de vouloir imposer sa vision par la force. Quand la situation dégénéra, toute la ruche des aporims prêta main forte à ses nouveaux alliés et les sceptiques furent balayés. Ceux qui refusaient de reconnaître l’existence du Seid furent chassés de Valoki. Palden regagna le Tharseim avec ses hommes, le cœur plein de rage.

    Shaïli ne renonça jamais, et ne se réconcilia jamais avec sa famille.

    Des hommes restèrent avec ces femmes mystiques pour les soutenir et partager leur idéologie, certaines femmes n’ayant aucun don pour le Seid choisirent également de rester dans cette communauté pour tenter un nouveau chemin. Le groupe accepta de nouveaux arrivants et prit de l’importance jusqu’à devenir une véritable société.

     

    Sans doute en raison de leur fonctionnement matriarcal, les femmes eurent beaucoup plus de succès que les hommes avec les insectes sociaux. Même les rares hommes initiés. Ces femmes se spécialisèrent dans les relations avec les insectes et prônèrent le retour à une vie naturelle. Elles développèrent une société basée sur la coopération et l’harmonie avec la nature.

    Par la consommation de ce miel fabuleux, tout comme leur guide, les plus sensibles développèrent des talents de guérison par apposition des mains. À force d’expériences et de recherches, elles  déclinèrent l’utilisation du Seid en techniques appelées Zoë-meta-kheria (« la vie par les mains »). À travers l’apprentissage de ces techniques, les initiées parvenaient à lire les auras des êtres vivants pour déterminer leur état émotionnel, mais aussi leur santé psychologique et physique. Elles pouvaient interagir avec ces fluides énergétiques pour apaiser et soigner.

    Les techniques que Shaïli transmit à ses premières disciples se développèrent, leur organisation devint plus complexe. Chacune des quatre espèces d’insectes sociaux devint progressivement l’alliée des initiées. Un monastère fut fondé.

     

    Ainsi naquit l’ordre Ophrys. Ainsi ne fit que grandir le ressentiment entre la Valoki et le Tharseim, une opposition née du déchirement d’un frère et d’une sœur qui pourtant s’adoraient.

    Shaïli Angama est restée une légende en Valoki. Elle a vécu très âgée. En sa mémoire depuis, chaque Sœur Ophrys confirmée, en parvenant à l’âge adulte (19 ans),  reçoit sa première pierre d’Ambremiel  et une robe de couleur bleue correspondant à sa spécialité.

    En devenant ainsi membre officiel de l’ordre, chaque Sœur acquiert le titre de Shaïli.

     

    Nigisu-wikimedia (illustration : Nigisu)

     

    Dans les semaines à venir, j’aborderai de manière plus approfondie la société valokine, l’organisation de l’ordre Ophrys et les utilisations du Seid.

    Mais d’ici là, le prochain article vous emmènera aux confins de l’hémisphère, sur l’équateur, dans un endroit où même les Sœurs Ophrys ne peuvent survivre. Un territoire insurmontable, toxique, mortel pour les humains. Nous irons à l’entrée des jungles noires du Kunvel.

     

     




  • Les insectes sociaux

    8356759764_1881c7db86_o-flickr(crédit photo : USGS)

     

    Notre espèce a toujours porté en elle une soif de découverte et de conquête inextinguible.

    Malgré des débuts difficiles, il ne fallut que quelques décennies aux humains pour étendre leur territoire jusqu’aux tropiques. Les insectes sociaux supérieurs furent découverts 79 ans après l’arrivée du Vaisseau des Origines.

     

    À cette époque, les descendants des premiers colons étaient encore unis par une même idéologie, une même volonté de conquérir, une même nécessité face aux innombrables dangers de la nature géante de ce monde. Il n’existait pas encore de nations distinctes.

    Plusieurs cités étaient bâties dans le Tharseim, des petites communautés éparpillées dans le Calsynn voyaient le jour, la Nemosia était en train de construire sa première grande ville.

    La Valoki commençait à peine à être explorée. Ses jungles immenses recelaient une vie foisonnante d’insectes dangereux et de plantes gigantesques dont certaines se révélaient fortement vénéneuses. L’incroyable masse des arbres-montagne imposait le respect.

    Jamais des êtres humains ne s’étaient sentis aussi insignifiants face à la nature. Ils étaient effrayés.

     

    La peur peut pousser aux pires extrémités.

    Dans chaque nouveau territoire, les explorateurs utilisaient la même stratégie. On érigeait un premier camp de base fortifié, les environs étaient débarrassés de toutes les espèces représentant une menace par le biais d’armes à forte puissance de feu. Plutôt que d’agrandir ce camp, un deuxième était construit assez proche du premier. Le terrain entre les deux était méthodiquement quadrillé et sécurisé, conquis. Et ainsi de suite. Lorsque le secteur était jugé suffisamment important, on commençait à construire un village.

    Cette méthode s’avérait excessivement destructrice, mais à cette époque les humains n’avaient que la technologie pour se défendre et la production industrielle en était encore à ses balbutiements. Dès que l’on sortait des champs de force et des bâtiments blindés, le danger était partout.

    En l’espace de trois générations, certains avaient déjà perdu trop de proches, vu trop d’estropiés, assisté à trop de drames. La peur et la haine des arthropodes indigènes animait les aventuriers téméraires qui rêvaient de conquérir la planète tout entière.

     

    À cette époque, la Corporation Nordique dirigeait l’ensemble de la communauté humaine. Cet organisme exécutif comprenait les plus éminents savants.

    La science dirigeait leurs vies, elle avait permis à l’humanité de trouver un nouveau monde habitable, de s’y rendre, d’y survivre. Il leur avait semblé logique de laisser le pouvoir aux plus brillants scientifiques de leur communauté.

    La famille Angama était une des familles les plus influentes à l’Assemblée de la Corporation Nordique. Ramesh Angama avait été un grand biologiste et un explorateur célèbre du temps de sa jeunesse. Il s’était débrouillé pour que ses deux enfants, arrivés à l’âge adulte, bénéficient de sa renommée et prolongent la gloire de la famille.

     

    C’est ainsi que Palden et Shaïli Angama se retrouvèrent à la tête de la toute première expédition chargée d’explorer la Valoki.

    Palden, l’aîné de vingt-sept ans, était un jeune homme fougueux et sûr de lui, parfois arrogant. Il était bien parti pour devenir, comme son père, un grand scientifique. Shaïli, sa sœur de trois ans plus jeune, n’avait pas moins de caractère mais elle était certainement plus sensible, plus intuitive, un peu rêveuse. Ils étaient tous les deux intrépides et s’adoraient.

     

    Les explorateurs avancèrent péniblement dans un premier temps, ils subirent de lourdes pertes en découvrant les nombreuses colonies d’insectes sociaux peuplant la Valoki. Ces animaux vivant par centaines, voire par milliers, agissaient comme un tout coordonné, une entité unique. Ils représentaient une menace très préoccupante.

    Quatre espèces en particulier se différenciaient nettement des autres :

    • Les terims bâtisseurs étaient de pacifiques cultivateurs de champignons, aveugles et translucides, qui ne sortaient de leurs dédales souterrains que la nuit. Tant que l’on restait éloigné de leurs constructions monumentales, ils ne s’intéressaient pas aux humains, mais les imprudents se faisaient accueillir par des jets d’acide.

    • Les myrmes omnivores étaient également des créatures terrestres, mais bien plus agressives. Pratiquant l’élevage sur d’autres espèces et même l’esclavage sur les colonies rivales, elles se réunissaient parfois en colonnes gigantesques pour tout dévorer sur leur passage.

    • Les vespères leur causèrent encore plus de problèmes. Ces prédateurs ailés, avec leur dard venimeux, leur tête triangulaire, leur carapace tigrée orange et noire, représentaient une menace supérieure à celle de tous les autres. Elles avaient une vision très développée leur permettant de se diriger aussi bien le jour que la nuit, leur organisation dénotait une certaine intelligence. Elles savaient ruser, feinter, tendre des embuscades, utiliser des tactiques… et elles appréciaient la viande humaine.

    • Autres créatures ailées vivant en colonies, les aporims étaient de paisibles butineuses végétariennes se nourrissant du nectar et du pollen des fleurs géantes. Elles évitaient les nouveaux venus arrivés des étoiles. Nos découvreurs de nouvelles contrées ne voyaient encore que de loin ces insectes de trois mètres de long, avec leurs ailes bleues transparentes, leur corps couvert de fourrure noire offrant un joli dégradé de couleurs.

     

    C’est dans les forêts tropicales de Valoki, la région habitée la plus proche de l’équateur, qu’eut lieu pour la première fois un échange entre un insecte social et un humain…

     

    10984118396_e4431c2a73_o(illustration : Joshua Ezzell)