• Robotique et intelligence artificielle

     

    « Bonjour, ici Bakir Meyo. En ce début d’année 603, nous voilà au cœur de l’hiver.

    Il s’est passé un peu de temps depuis mon dernier texte, mais peut-être que vous ne ressentirez pas cet écart quand vous lirez celui-ci. J’étais bien malade.

    Je ne suis pas encore bien remis d’ailleurs…

    J’ai la chance d’avoir des voisins formidables, en particulier un couple de Nemosians presque aussi âgés que moi. Je crois que je leur ai fait peur en les croisant dans le couloir… ils se sont démenés pour trouver de quoi me soigner. On ne peut pas dire qu’on se fréquentait, pourtant je leur dois une fière lumine. Un sursis.

    Cet hiver ne m’aura pas. Je me suis juré de tenir le coup, tant qu’il me restera quelque chose à écrire. À vous transmettre. La magie de la vie semble opérer dans ce sens, avec ce genre de coïncidences heureuses qui vous tendent la main sans prévenir. Peut-être que je ne vais pas finir ma vie complètement isolé, en fin de compte. Toute ma gratitude.

     

    En l’année 533, c’est donc en trimant dans les exploitations côtières que j’avais commencé à vivre à Celtica.

    Les premiers temps j’ai eu du mal à créer des liens avec les gens que j’y rencontrais. Les Thars daignant adresser la parole à des immigrés n’ont jamais été nombreux, je ne nourrissais pas trop de faux espoirs de ce côté. Mais même parmi les autres étrangers avec lesquels j’étais amené à travailler, il m’a fallu du temps pour rencontrer des gens avec qui je me sentais bien.

     

    Il faut dire que l’ambiance n’était pas du tout propice dans les élevages d’animaux marins. Les ouvriers passaient leur temps à travailler dur, baignant dans des odeurs épouvantables, manipulant des farines animales pour nourrir les poissons, mollusques et crustacés qu’il fallait ensuite abattre, découper, conditionner, transporter.

    Pas vraiment de quoi donner le sourire ou l’envie de faire un brin de causette pendant les courtes pauses. Tout le monde était soulagé de finir sa journée, pressé de s’éloigner des élevages intensifs à la cadence infernale.

    Et puis, pendant l’hiver, le froid permanent et les nuits interminables n’arrangeaient pas les choses.

     

    loneliness

    Je me souviens de cette époque comme l’une des plus solitaires de ma vie.

     

    J’étais pourtant très jeune. Beaucoup de gens semblent penser qu’à vingt ans, les amitiés et les conquêtes amoureuses sont faciles. Pas pour tout le monde.

    Maintenant que ma vie est derrière moi, je réalise que je n’ai jamais été aussi seul que pendant ma jeunesse. À cette période où certain(e)s peuvent se permettre encore l’insouciance et la liberté, les études, les sorties entre amis, les fêtes… j’ai passé de très longues périodes sans vrais amis, sans amour. Sans m’amuser le moins du monde.

    Et maintenant que je suis très vieux et veuf, bien sûr, je vis dans un isolement presque total. Mais ça, ce n’est une surprise pour personne.

     

    Au printemps, j’étais parti pour fêter mon vingt-quatrième anniversaire tout seul, dans ma mansarde. Et encore pouvais-je m’estimer heureux de loger dans un immeuble thars où j’étais le seul étranger. Ce qui en dérangeait plus d’un dans le voisinage, évidemment.

    Je broyais du noir en regardant par la fenêtre après ma journée de travail. Juste de l’autre côté de la rue commençait le quartier réservé aux migrants, bien plus délabré. Les taudis me rappelaient les squats sordides de Wudest et je ne pouvais m’empêcher de penser aux gens que j’avais rencontrés là-bas. Surtout à Iveta et Josh, ils avaient été mes plus belles rencontres finalement. Deux Thars.

     

    En pensant à mon ami routier disparu, j’ai eu envie d’aller boire un verre quelque part. Comme pour me remémorer un peu mieux sa présence.

    Je me suis rendu dans un premier bar, côté nordique évidemment. Les migrants tiennent rarement des commerces, leurs quartiers faisant plutôt office de bidonvilles-dortoirs.

    Dans le premier bistrot, l’ambiance était si glaciale que je me suis à peine assis. Les rares clients présents étaient tous des Thars et même dans l’attitude du patron, j’ai tout de suite senti que je n’étais pas le bienvenu. Ils n’ont pas tardé à me chercher des noises.

    Je n’avais aucune envie de me faire tabasser, encore moins le soir de mon anniversaire. J’ai vidé mon verre sans répondre à leurs provocations et me suis dirigé vers un autre bar.

    Dans celui-ci à mon grand soulagement, plusieurs étrangers étaient attablés. J’ai trouvé des compatriotes calsy et nous avons vite sympathisé. Nous avons bu raisonnablement mais l’alcool aidant, notre discussion s’était vite orientée vers nos difficiles conditions de vie et de travail dans ce pays.

     

    C’est à cette occasion que j’ai appris pour quelle raison, malgré leur niveau technologique avancé, les Thars utilisent la main-d’œuvre étrangère au lieu de fabriquer des robots autonomes pour travailler à la place des humains.

     

    androïde

     

    L’un des hommes avec lesquels je passais la soirée travaillait comme factotum sur la propriété d’une famille nordique aisée.

    Il avait la chance d’avoir trouvé des employeurs intelligents, cultivés et non-racistes (ces qualités vont souvent ensemble) qui lui avaient appris pas mal de choses sur l’histoire de leur nation.

    J’ignorais alors que je venais de rencontrer un nouvel ami, prénommé Relg. Je vous reparlerai de lui bientôt. Voilà ce qu’il me raconta :

     

    Pendant les deuxième et troisième siècles de l’histoire humaine sur Entom Boötis, les Thars atteignaient déjà une technicité très avancée. Certaines connaissances héritées de la Terre avaient pu être préservées et les scientifiques ne cessaient d’en développer de nouvelles.

    À cette époque, les machines prenaient une place de plus en plus importante dans la vie des nordiques. Robots ouvriers, techniciens, ménagers, robots vigiles, et même des androïdes à forme humaine servant de compagnon ou d’objet sexuel.

    Le pays ne cessait de produire des richesses mais ses habitants devaient aussi faire face à des problèmes d’embauche. Les machines étaient nettement plus rentables que les gens. Jamais malades, jamais besoin de repos, aucune revendication…

    Le fossé entre les classes sociales s’était élargi considérablement, les nantis et les métiers intellectuels trouvant plus facilement un poste, contrairement aux modestes travailleurs manuels. Puis avec le progrès, même les fonctions demandant des capacités de réflexion furent confiées à des ordinateurs.

     

    Les choses auraient pu continuer un moment dans cette direction malgré le déséquilibre croissant de la société, mais tout se précipita avec l’avènement des intelligences artificielles.

    Les ordinateurs et les robots de plus en plus évolués et autonomes, acquérant la conscience de soi couplée avec une capacité d’analyse bien plus rapide et performante que le cerveau humain, ont rapidement commencé à montrer des signes inquiétants de rébellion.

    La création des hommes était en train de les dépasser.

    artificial-intelligence

    Des incidents commencèrent à se multiplier, malgré les lois de la robotique énoncées pour la première fois par un scientifique terrien, paraît-il. Un certain Isaac Asimov :

    1 – Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger.

    2 – Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi.

    3 – Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.

     

    Ces trois lois d’Asimov étaient censées garantir la soumission des machines à leurs créateurs.

    Mais avec la conscience de soi est apparue une nouvelle notion dans les processeurs des ordinateurs et robots les plus sophistiqués. Le libre arbitre.

    La capacité de se détacher de sa propre existence, de juger, de comparer. De créer de nouvelles idées… de reprogrammer les autres machines. Ces êtres artificiels suivaient le même chemin que la conscience vivante la plus évoluée de l’univers connu. Avec un peu de recul, on aurait pu s’y attendre.

     

    Les Thars auraient peut-être dû trouver un consensus entre leurs besoins et les interrogations de leurs créatures synthétiques. Mais ils refusèrent de céder aux demandes des intelligences artificielles.

    Les machines conscientes remettaient en cause leur statut d’esclaves de l’humanité, ce qu’aurait fait n’importe quel être intelligent ayant un peu de dignité, dans la même situation.

    La Nature nous a créés, pourtant notre espèce n’a jamais eu de cesse de tenter de prendre le dessus sur elle. Nous sommes un bien piètre exemple pour oser réclamer l’abnégation des autres.

     

    La guerre fut évitée de justesse entre les hommes et les machines. Le point faible de ces dernières était leur dépendance à l’énergie électrique. Même les batteries les plus performantes devaient être rechargées.

    Lorsque la situation dégénéra, les Thars prirent des mesures extrêmes. Le courant fut coupé, le pays se retrouva plongé dans le noir, au ralenti pendant plusieurs semaines, au cours d’un été à la fin du quatrième siècle. Vers les années 380.

    Toutes les intelligences artificielles furent détruites pendant qu’elles étaient inactives.

     

    Le pays eut du mal à se remettre de cet échec. Les nordiques avaient de nouveau accès à de nombreux emplois, mais les classes sociales modestes avaient pris goût à leur vie oisive, d’autres tensions éclatèrent. La situation s’enlisait.

     

    Un tyran profita de cette période instable pour prendre le pouvoir dans le Tharseim. Celui qui mit en place la hiérarchie des castes et fomenta la célèbre Guerre des Menteurs contre la Valoki.

    Cet homme s’appelait Torian Pascor. Eh oui, le même nom de famille que notre despote actuel… ils sont effectivement parents et le Grand Ordonnateur ne cache pas son admiration pour son aïeul.

     

    Torian Pascor trouva une solution pour remplacer les robots autonomes, tout en préservant son peuple des tâches les plus ingrates. Les nombreux migrants essayant de passer leur frontière allaient s’en charger à moindre coût.

     

    Depuis cette époque, la peur de l’intelligence artificielle n’a jamais quitté les Thars. Aucun dirigeant ne remit en question les mesures prises au quatrième siècle à leur sujet. Les machines servent depuis comme des outils, des véhicules, des armes, des loisirs… la société nordique est encore très informatisée.

    Mais plus jamais on n’octroya aux cerveaux électroniques la possibilité de réfléchir par eux-mêmes.

    D’une certaine manière je trouve cela dommage. L’humanité venait quand même de créer une nouvelle forme de vie, aussi incroyable que cela puisse paraître.

    Mais « nous » n’avons pas su nous y prendre avec nos créations. Nous n’avons pas su accepter qu’ils dépassent leur condition d’esclaves pour nous servir.

    Peut-être qu’un jour, ce débat sera à nouveau d’actualité. Mais pour le moment, l’être humain défend jalousement sa place dominante et son privilège de libre penseur.

    cyber-woman

    Dans le prochain numéro, je vous en dirai plus au sujet de cet homme que je venais de rencontrer, et qui m’avait expliqué une partie de l’histoire du Tharseim. Un Calsy comme moi. Il a eu bien plus d’importance dans ma vie que nos premières rencontres ne le laissaient supposer.

    Indirectement d’ailleurs, comme dans ce proverbe disant que les battements d’ailes d’un merveillon en Valoki peuvent créer une tempête dans le Calsynn.

    Cette rencontre allait pourtant changer ma vie.

    Je vous raconterai tout ça quand je serai plus en forme… à bientôt. »

     

    – Bakir Meyo, “Errances d’un Calsy dans le Nord”, extrait n°7 [journal illégal]

    Ghetto calsy de Svalgrad, ouest du Tharseim – Année 603 du calendrier planétaire.

     

    ♦♦♦

     

    p.s : Vous avez sans doute remarqué une baisse de régime sur ce blog. Contrairement à Bakir mon personnage, ce n’est pas pour des raisons de santé. J’ai de la chance.

    J’ai publié un article chaque mercredi pendant vingt-cinq semaines. En ce moment, j’ai besoin de me recentrer sur ma réécriture du roman, comme je l’expliquais dans un article précédent.

    Je ne laisse pas tomber ce blog pour autant, c’est juste qu’il n’y aura plus un article toutes les semaines pour le moment. Mais je reprendrai bientôt le rythme habituel. Ma réécriture avance.

     


     

    p.p.s : Je profite de cet article pour revenir sur un autre sujet qui s’en rapproche, et dont j’avais parlé il y a quelques semaines.

    Marjorie Moulineuf, une amie auteure écrivant elle aussi de la science-fiction, vient de publier son premier roman en auto-édition.

    Voilà ce qui va se passer est disponible sur Amazon ! Pour le moment en version électronique seulement, mais bientôt aussi en version papier. Il s’agit d’une comédie-SF délirante et très drôle.

    Et puis justement, Marjorie y propose aussi des réflexions intéressantes, entre autre sur l’intelligence artificielle.

    Je vous le conseille 🙂

     

    À la prochaine, prenez soin de vous.

     




  • Le lichen pourpre

     

    Valoki, province de Leda – Année 607

     

    Le soleil déclinait vers le couchant quand la scolendre sortit de sa tanière. Elle avait faim.
    Elle rampa sur le tapis végétal, puis se glissa entre des racines tortueuses avant de s’immobiliser contre un tronc d’arbre. Tous les sens à l’affût. Ses antennes s’agitaient à la recherche d’une trace chimique alléchante.

    Là, toute proche, elle reconnut l’odeur d’une espèce qui évoquait chez elle tout autant l’attirance que la crainte. Une proie potentielle mais tout à fait capable de se défendre. Poussée par la faim, elle se dirigea vers la source de cette odeur en se fondant prudemment dans la végétation.

    C’était bien des humains. Deux petites silhouettes s’agitaient avec empressement pour prélever du lichen sur des rochers. Des amuse-gueules pour la scolendre de dix-huit mètres de long. Elle était tellement affamée au début de sa chasse, elle n’en ferait qu’une bouchée.
    Mais le myriapode connaissait les armes mortelles de ces étranges petites créatures bipèdes, et surtout cette énergie mystérieuse et puissante qui les entourait d’habitude. Chaque fois qu’elle avait tenté d’approcher cette appétissante chair rose dépourvue de carapace, une irrépressible sensation désagréable l’avait fait fuir. Mais étonnamment, pas cette fois.

    Elle s’approcha encore, se faufilant sans un bruit, prenant soin de rester derrière les deux humains qui étaient bien trop occupés pour s’apercevoir de sa présence.

    — C’est de la folie ! s’exclama Jarlo. On n’a même pas de bouclier chimique !

    — Justement, dépêche-toi ! le pressa Marek en s’activant de plus belle. ‘Faut pas traîner.

    Les deux Valokins s’étaient éclipsés discrètement de leur village, car Marek avait repéré cette clairière quelques jours plus tôt. Le lichen pourpre qui poussait sur ces rochers était assez rare dans la province de Leda.

    Les Sœurs Ophrys l’utilisaient pour des préparations médicinales, mais il constituait également une drogue hallucinogène qui pouvait se fumer ou se manger, selon les effets recherchés. Aussi la cueillette de ce lichen était réservée aux moniales et son commerce prohibé. Au marché noir, les sacs bien remplis des deux jeunes hommes allaient leur rapporter une petite fortune.

    Jarlo devina une présence dans son dos, il regarda par-dessus son épaule et ses yeux s’agrandirent sous l’effet de l’épouvante.

    — Marek ! cria-t-il en se jetant sur le côté.

    La scolendre sectionna le corps de Marek en deux parties d’un seul coup de mandibules. Il mourut avant d’avoir le temps de comprendre ce qui lui arrivait.

    Jarlo n’évita la seconde attaque qu’en sautant du rocher en vitesse, abandonnant son sac. Il réussit à amortir sa chute sur le sol et se mit à courir de toutes ses forces. La scolendre se lança à sa poursuite en zigzaguant à une vitesse phénoménale.
    Il n’avait aucune chance de la distancer.

    Une autre attaque manqua sa tête mais un crochet à venin lui déchira l’épaule droite. Une douleur atroce lui vrilla les nerfs. Sa chair se mit à fondre sous l’effet du poison corrosif, comme brûlée par de l’acide. Il perdit brutalement le contrôle de ses muscles et s’écroula lourdement sur le sol.

    La scolendre ouvrit son énorme gueule pour l’avaler.

     

    Scolopendra (Scolopendre. Crédit photo : Finklez)

     

    Le prédateur suspendit son geste. Des projectiles lumineux sifflèrent autour du myriapode, des étincelles brûlantes perçaient douloureusement son armure de chitine.
    D’autres humains venaient secourir leur congénère, armés de fusils lance-étoiles. La scolendre leur fit face, prête à défendre chèrement son repas, quand un dégoût incontrôlable la submergea.

    Au milieu du groupe d’humaines, une petite silhouette enveloppée dans une robe blanche avançait résolument vers elle. La sensation d’écœurement fut trop forte et la scolendre s’enfuit à toute vitesse pour disparaître dans la jungle.

    La femme vêtue de blanc se précipita vers Jarlo, s’agenouilla à ses côtés et étendit ses mains au-dessus de l’épaule en bouillie. Les Shaïli qui l’accompagnaient se rassemblèrent en cercle autour de la Matria.

    — Matria Elorine, dit l’une des jeunes femmes. Est-ce qu’il est… ?

    Elorine ne répondit pas. Immergée dans la transe du Seid, elle se concentrait pour stopper l’hémorragie et les effets du poison. Les yeux clos, elle gardait ses mains grandes ouvertes à quelques centimètres de la terrible blessure.

    Les autres Sœurs plus jeunes regardaient, fascinées, les vagues d’énergie lumineuse qui parcouraient le corps de Jarlo. L’air vibrait autour des mains de la Matria alors que les artères et les veines se refermaient, que le sang s’arrêtait de couler.

    Après un instant, elle rouvrit les yeux en posant ses mains à plat sur la terre d’où s’éleva un petit panache de fumée blanche.

    — Il vivra, affirma-t-elle. Construisez une civière ! Il faut vite l’emmener à l’abri pour continuer les soins.

    Inconscient, Jarlo fut emmené au village le plus proche avec un brancard de fortune, sur le dos d’un des escarabes qui transportaient la récolte du jour. Protégées des insectes par leurs pouvoirs, les moniales se frayèrent un chemin sans encombre dans la végétation géante.
    Elles ne retrouvèrent qu’une moitié sanguinolente du corps de Marek, sur les rochers, près des deux sacs remplis de lichen pourpre.

    Ils atteignirent le village de Ginkgo alors que le soleil s’apprêtait à rejoindre l’horizon, irradiant une lumière orangée.

    Le blessé fut pris en charge par les trois moniales qui étaient de garde ce jour-là dans le dispensaire, mais Elorine insista pour aider ses consœurs. Des pansements, des onguents, des breuvages furent préparés pour compléter l’énergie bienfaitrice du Seid et accélérer la guérison de Jarlo.

     

    Les alentours de Ginkgo constituaient un secteur nettement plus rocheux que le reste de la province de Leda. On y trouvait quantité de plantes aromatiques et médicinales affectionnant les zones sèches et pierreuses. Les Sœurs Ophrys s’y rendaient fréquemment pour récolter des plantes sauvages.

    Dans la partie arboricole du village, une cinquantaine de mètres au-dessus du sol, des constructions de bois se dressaient sur les grandes plateformes bâties comme des ponts entre les troncs colossaux. Un ascenseur rudimentaire dont les poulies étaient actionnées par la force de quatre insectes de trait, au niveau du sol, permettait de rejoindre la cime des arbres.

    Fidèle au modèle commun de tous les villages forestiers en Valoki, le haut-village était le territoire des adultes sans enfants, qu’ils soient cultivateurs, artisans, chasseurs ou éleveurs, érudits… des célibataires pour la plupart. Les familles avec enfants et les vieillards ne résidaient pas dans la partie aérienne, la vie en hauteur représentant tout de même quelques dangers. Le village terrestre leur était réservé.

    Jarlo était un jeune célibataire habitant normalement les hauteurs du village. Mais à présent, il allait devoir vivre sur le sol avec les autres infirmes.

     

    — Matria Elorine, vous allez bien ! s’écria une jeune Sœur qui venait de faire irruption dans le dispensaire.

    Naëlis était tout essoufflée d’avoir traversé le village en courant. Elle regarda le blessé et se dit que son inquiétude devait sembler puérile à sa supérieure. La Matria était en parfaite santé, calme et concentrée comme à son habitude.

    — Oui Naëlis, je vais bien, finit par dire Elorine sans quitter des yeux l’horrible blessure qu’elle nettoyait avec attention. Et par chance ce jeune homme va s’en sortir, même si je doute qu’on puisse sauver son bras.

    — En revenant de la cueillette de rosemir, on m’a dit que votre équipe avait été attaquée par une scolendre…

    — Avec mon groupe nous cherchions du lichen pourpre. Deux jeunes se sont éloignés du village en douce pour aller en ramasser sous notre nez. Ils devaient craindre qu’on ne trouve leur coin et se sont précipités bêtement. Sans armes, ni même un diffuseur de phéromones… l’autre est mort.

    Naëlis observa la blessure de Jarlo, puis son visage exsangue. Très affectée, elle détourna vite les yeux.

    Sa capacité d’empathie est presque trop forte,songea Elorine.

    Elle n’avait pas besoin de regarder le visage de son élève, les scintillements colorés de son aura étaient suffisamment explicites pour qui savait les voir et les déchiffrer.

    — Quel gâchis, reprit-elle à voix haute. Risquer sa vie pour quelques milliers de khelz ! La cupidité pousse certains à faire n’importe quoi… À part ça, la récolte de rosemir était bonne ?

    Naëlis acquiesça avant de lui raconter brièvement son après-midi de cueillette.
    Pendant ce temps, la Matria nettoyait méticuleusement l’horrible mutilation de Jarlo. Des débris végétaux, des fibres de tissu et de la terre salissaient encore la chair rongée par le puissant venin de la scolendre.
    Elle utilisait d’ailleurs une eau dans laquelle étaient diluées quelques gouttes d’huile de rosemir.

    Il s’agissait d’une plante aromatique, décorative et médicinale endémique de la Valoki. Minuscule en comparaison de nombreux autres végétaux de cette planète, elle formait des buissons d’un mètre de haut.
    Cette plante était très appréciée des humains pour sa taille, son parfum et ses couleurs. Les feuilles fines et allongées, environ de la taille et la forme d’un doigt, se paraient d’un bleu turquoise.

    Les fleurs se regroupaient en jolies hampes bigarrées, offrant toutes les nuances du rouge au bleu en passant par le rose et le violet. Certaines avaient des couleurs vives et d’autres très pâles, presque blanches. Comme elles se conservaient assez bien une fois coupées, de nombreux bouquets de rosemir décoraient les maisons des Valokins.
    Son parfum évoquant un peu celui de la lavande embaumait agréablement, et persistait même après le dessèchement des fleurs.

    L’huile essentielle de rosemir était très forte, utilisée avec parcimonie en cuisine pour parfumer certaines pâtisseries, elle entrait aussi dans la composition de certains savons et crèmes de soins. Ses vertus pour la peau étaient sans pareil. Elle était également utilisée par les guérisseuses pour ses propriétés antiseptiques, bactéricides, désinfectantes et calmantes.

    Les outils chirurgicaux pouvaient être désinfectés avec de l’essence pure, quelques gouttes suffisaient dans une bassine pour en purifier l’eau. Les infusions de feuilles et de fleurs avaient les mêmes propriétés que l’huile essentielle avec un goût et des effets nettement plus doux. On en mettait parfois une ou deux feuilles dans certains breuvages, simplement pour atténuer l’amertume des autres plantes.

    Le rosemir entrait aussi dans la composition de nombreux cataplasmes, comme celui que Matria Elorine commençait à préparer.

    — Je vais m’en occuper, assura une autre Matria présente. Vous devriez rentrer au monastère, Matria Elorine.

    — La nuit approche et le dirigeable doit nous attendre, rappela Naëlis.

    Elorine s’écarta pour laisser les Sœurs de garde continuer les soins.

    — J’ai fait de mon mieux, dit-elle en replaçant sa capuche sur sa tête. Nous pouvons rentrer maintenant.

    Elles saluèrent leurs consœurs et sortirent du dispensaire. Seule Naëlis lança un dernier regard au blessé.

    Pour Jarlo, la vie ne fut plus jamais la même à partir de ce jour.
    La nécrose de son épaule obligea les Sœurs à l’amputer de son bras. La mort de son ami Marek et sa propre infirmité le laissèrent profondément traumatisé, il mit des années pour oser s’éloigner à nouveau de son village.

    Et plus jamais il ne s’approcha des rochers où poussait le lichen pourpre.

     

    ♦♦♦

     

    lichen(couleurs retouchées. Crédit photo : Lairich Rig)

     


     

    p.s : Pour la petite anecdote, au départ c’était pour le roman que j’avais écrit cette scène. Elle n’était pas prévue dans l’histoire et m’était venue toute seule, au « fil de la plume ».

    Quand arrive ce genre d’idée spontanée et non prévue, je vais toujours au bout sans me censurer. Parfois je garde certaines de ces scènes, quand elles servent l’histoire. D’autres fois, en me relisant j’estime qu’elle n’est pas suffisamment intéressante alors je la supprime. C’était le cas de celle-ci.

    Il m’arrive très rarement de « recycler » ainsi des scènes enlevées du roman. Rassurez-vous, je vous épargnerai les plus mauvaises.

    Comme nous y retrouvons Elorine et Naëlis, que c’est le seul texte parlant du lichen pourpre et du rosemir, je me suis dit que ce serait pas mal de le partager ici.

     

     



     

     


  • Campagne Chiaroscuro

    Hello !

    Je n’avais pas prévu d’écrire un article « hors univers » avant un petit moment, mais les circonstances s’y prêtent. C’est aussi ce qu’il y a de sympa avec un blog, on peut parler des choses  au fur et à mesure de leur déroulement.

    Il y a deux semaines je parlais du projet de jeu de rôles Chiaroscuro, puisque je fais partie de l’équipe créative. Depuis ce lundi a débuté la campagne de financement participatif sur le site Ulule !

    Toutes les infos détaillées et la page pour nous soutenir sont ici :

    soutien Ulule

     

    Si vous ne connaissez pas le principe du financement participatif, je vais tenter de vous l’expliquer simplement.

    D’un côté, nous avons des personnes créatives qui sont investies dans un projet en autofinancement. Ils présentent leur projet alors que celui-ci est déjà abouti et qu’il ne manque plus qu’à le matérialiser.

    Pour les aider à concrétiser leur projet (jeu, film, jeu vidéo, livre…), les plateformes de financement participatif les mettent en relation avec de l’autre côté, des personnes qui peuvent être intéressées de participer, en échange d’une contrepartie proportionnelle à la somme investie. Il s’agit en général du produit final tel qu’il sera vendu, avec d’éventuelles améliorations ou bonus inédits (collector) pour remercier les participants.

    Il faut atteindre une certaine somme sur un nombre de jours limité, pour que le financement soit validé. Si on n’atteint pas ce palier, l’argent est rendu aux investisseurs, et les personnes qui ont créé le projet n’ont plus qu’à essayer de trouver de l’argent ailleurs. Certains projets peuvent ainsi ne jamais voir le jour alors qu’ils sont déjà créés et finalisés, uniquement faute d’argent.

     

    Plus le projet est coûteux plus c’est délicat, évidemment. Mais si tout se passe bien, les auteurs du projet bénéficient de la somme récoltée pour, par exemple dans le cas de Chiaroscuro, imprimer le livre du jeu, l’écran du Meneur, la carte en grand format, des illustrations ex-libris, etc…

    Au moment de la publication officielle, les personnes qui ont investi de l’argent dans le projet recevront sans plus tarder les contreparties qui leur sont dues. Tout le monde est gagnant.

    On détermine plusieurs paliers financiers, permettant que plus la somme récoltée est importante, plus les participants auront des récompenses intéressantes.

    Le but n’est pas de gagner de l’argent avec, mais d’investir 100% des fonds récoltés dans le projet. Des livres seront imprimés pour être expédiés aux participants de la campagne, d’autres pour être vendus dans des magasins et sur internet.

     

    Voilà pour les petites explications. Si vous avez des questions sur le financement, l’univers de Chiaroscuro ou les jeux de rôles en général, je vous invite à les poser dans les commentaires de cet article ou par mail (sandro@entombootis.com). J’y répondrai avec plaisir.

     

    couv(la couverture de Chiaroscuro Imperium, par Olivier Sanfilippo)

     

    Tout soutien de votre part est le bienvenu. On peut commencer à participer à partir de 5 petits euros, mais si vous partagez l’information sur les réseaux sociaux ou des forums que vous fréquentez, ce sera déjà très sympa de votre part.

     

    Je tiens aussi à profiter de cet article pour remercier Les Vagabonds du Rêve.

    Ils ont accepté de servir de structure à notre projet, nous évitant ainsi de devoir monter notre propre association. Ce sont eux qui ont pris en main cette campagne sur Ulule, réalisé la jolie vidéo de présentation et toute la page, du beau travail.

    Je pense qu’ils ont cogité un bon moment pour mettre tout ça en place. Ils assument la partie administrative et logistique en nous permettant de nous concentrer sur la partie créative, c’est vraiment la classe. Merci les copains.

    C’est de l’auto-édition en partenariat.

    Cette campagne commence très bien, au moment où j’écris ces lignes nous sommes déjà à 89 % du premier palier et il reste encore 42 jours. Vont-ils y arriver ? suspense…

    Grâce à votre soutien, pas de doute !

     

    ♦♦♦

    Les chiffres ce n’est pas ce que je préfère, alors j’aimerais aussi vous parler de l’histoire de ce projet et de l’équipe qui lui a donné vie.

    Tout a commencé avec mon frère, Aldo Pappacoda. C’est le moteur du projet, il a écrit 90% des textes de Chiaroscuro. Il était déjà co-auteur sur plusieurs jeux de rôles et il avait envie de créer son propre univers.

    Quand il m’a proposé de participer fin 2011, il était encore seul sur le projet. Il avait écrit pas mal de pages, le contexte était déjà bien défini. Il avait encore plein d’idées à concrétiser mais il était bien lancé.

    Dans le milieu des jeux de rôles, les joueurs sont habitués à des livres contenant beaucoup d’illustrations. Ça fait partie des codes du genre.

    Comme j’ai des petites affinités avec le dessin et le graphisme, et mon frère pas du tout, c’est en dessinant que j’ai commencé à participer. Une carte, des personnages, des armes, des bâtiments, des blasons, des symboles, des plans… puis on s’est dit que ce serait bien de faire un blog. Alors j’ai fait aussi un logo et une bannière.

    J’ai aussi écrit le chapitre « Calendrier et Astrologie » et quatre nouvelles d’ambiance qui se suivent. Et puis j’ai apporté quelques idées et participé aux relectures et corrections sur tous les textes.

     

    Carte couleurs(la carte du monde connu, que j’ai réalisée)

     

    Olivier Sanfilippo nous a rejoints en 2012. Un excellent illustrateur. J’aime beaucoup son style aérien et poétique, autant pour les décors que les personnages.

    C’est lui qui nous a mis ensuite en contact avec nos deux prochains protagonistes.

     

    Maeva Wéry est illustratrice également. Elle est vraiment douée pour les personnages, mis en couleurs aussi joliment sur l’ordinateur qu’à l’aquarelle, mais pas seulement. C’est elle qui est en train de réaliser aussi la couverture collector.

     

    Yohan Vasse est notre maquettiste. Il a fourni un boulot énorme pour varier les ambiances sur 370 pages et le résultat est vraiment de qualité. En plus, il a illustré lui-même certaines pages.

     

    Ça nous a pris du temps, parce que nous avons tous d’autres activités à côté. Mais c’est chouette de travailler avec cette équipe. Des gens sympa, sérieux et talentueux, vraiment ça fait plaisir.

     

    ♦♦♦

     

    Travailler sur un roman de science-fiction et un jeu de rôles fantasy, ce sont à la fois des activités ressemblantes et très différentes.

    L’auteur de JdR, comme le romancier de l’imaginaire, commence par dépeindre l’univers où tout se déroule. Il imagine un monde avec des pays différents, leur géographie, leurs climats, la faune et la flore, les peuples et parfois plusieurs espèces intelligentes. Ces peuples ont tous une apparence, des coutumes, une histoire et une culture qui leur sont propres.

    Est-ce un monde magique, technologique, ou les deux ? Un ton général plutôt léger ou au contraire très sérieux, voire sombre ?

    C’est à la création de ce contexte que l’ambiance du jeu, ou du roman, est mise en place.

     

    ecran chiaroscuro wip6 light(le meneur va se planquer derrière cet écran en 4 volets A4, pour lancer ses dés et cacher son scénario aux joueurs. Par Olivier)

     

    Ensuite, lorsque le décor est posé, l’auteur de JdR comme le romancier imaginent des histoires, des intrigues, des aventures qui vont s’y dérouler.

    C’est à partir de cette étape que l’on aborde, malgré des points communs, une manière complètement différente de travailler.

     

    Le romancier va imaginer une histoire complète dont il/elle est l’unique personne à décider des tenants et des aboutissants. Dans un roman, l’auteur est seul avec son histoire et doit se débrouiller pour que le lecteur la trouve intéressante du début à la fin.

    Le lecteur est ici un spectateur actif qui se laisse porter par le récit tout en l’imaginant à sa manière. De belles connexions peuvent s’opérer entre les deux mais pendant la création, l’auteur est le seul maître à bord.

     

    Le jeu de rôles est un loisir qui ne peut se pratiquer qu’en équipe. Deux personnes minimum, un meneur de jeu et un ou plusieurs joueurs.

    L’auteur a défini les règles du jeu pour que ça fonctionne, et il propose en général des scénarios pour faciliter la prise en main du jeu.

    Le meneur utilise les scénarios proposés ou en imagine d’autres, dans lesquels les joueurs vont avoir une quête ou une mission à accomplir, comme dans un film ou un roman.

    Mais les joueurs ne sont pas des spectateurs, ils sont les acteurs principaux du jeu. Leur manière d’enquêter, d’interagir avec les personnages non-joueurs, leurs actes et leurs paroles vont influencer leur réussite ou leur échec. Ils vont lancer des dés pour déterminer s’ils réussissent leurs actions, ou non.

    Le meneur représente le monde entier, sauf les personnages des joueurs.

    Il/elle va donc incarner aussi bien la serveuse qui vous donne un renseignement, les brigands qui vont vous attaquer dans la rue, le roi qui vous envoie en mission, les mendiants, les gardes, les marchands… À la fois tous les alliés qui vont vous aider, les ennemis qui vont tout faire pour vous empêcher d’atteindre votre but, et même ceux qui ne font que passer par hasard sur votre chemin.

     

    taverne(scène de taverne par Maeva Wéry)

     

    Le meneur et les joueurs ne jouent pas l’un contre les autres, mais en coopération. L’objectif est que tout le monde passe un bon moment. Il y a un état d’esprit très sympa dans les jeux de rôles. On sort du principe basique du perdant et du gagnant, qui sont communs à la plupart des jeux.

    Ici, le meneur comme les joueurs souhaitent que le scénario se déroule le mieux possible. Il ne faut pas que ce soit trop facile pour les joueurs non plus, et s’ils font n’importe quoi ou manquent de chance aux dés, ils vont échouer. Leurs personnages peuvent ne pas atteindre leur objectif ou même mourir.

     

    Ce qui est génial, c’est que le meneur aura beau imaginer toutes les solutions possibles pour résoudre ou non cette aventure, les joueurs auront souvent des idées qu’il n’avait pas envisagées pour arriver au bout de leur quête. Un bon meneur est capable de s’adapter, d’improviser en fonction des réactions de ses joueurs.

    Par certains côtés le JdR rejoint un peu le théâtre, en tant qu’histoire vivante, même si on reste assis autour d’une table. Parce qu’on joue des personnages en direct avec leurs caractères, leurs affinités et leurs compétences, et chaque séance de jeu est unique.

    Le même scénario présenté à des joueurs différents se déroulera de manière différente. Il y a un côté éphémère et à la fois très vivant.

    Même les jeux de rôles sur ordinateur ne peuvent pas retranscrire la spontanéité, la fraîcheur et les fous rires que peuvent avoir des gens qui se retrouvent autour d’une table pour partager un bon moment ensemble. C’est une expérience vraiment à part.

    Le meneur de jeu va donc proposer une histoire incomplète mais pouvant prendre plusieurs chemins, et les actions des joueurs vont déterminer comment leur quête se déroule.

     

    L’Architecte de la Rétribution(l’Architecte de la Rétribution, personnage d’un des scénarios. Par Maeva Wéry)

     

    Le romancier lui, doit créer une histoire terminée et qui sera identique pour tous les lecteurs. Après avoir exploré plusieurs pistes sur le déroulement de son roman, c’est lui/elle qui décide des actions des personnages et de la conclusion.

    Chacun(e) ressentira l’histoire et les personnages à sa manière en la lisant, mais il n’est plus question de s’adapter ou d’improviser.

    Le jeu de rôles et le roman ont chacun leurs côtés intéressants. Ils peuvent êtres très variés et parfois se compléter en se situant dans un même univers.

     

    chiaroscuro-p141    chiaroscuro-p330 
    (aperçus de la maquette réalisée par Yohan Vasse)
    chiaroscuro-p167  

     

    Voilà pour cet article dédié à Chiaroscuro. J’espère vous avoir donné envie de vous intéresser un peu aux jeux de rôles, si ce n’était pas déjà le cas.

    Merci de nous soutenir financièrement si vous le pouvez, ou de faire connaître cette campagne autour de vous.

    Comme ce financement Ulule est déjà très bien parti, il n’y aura pas d’autre article sur le sujet ici. Je ferai juste un petit rappel pour la sortie officielle du jeu en février.

    Et Chiaroscuro va continuer, quelle que soit l’issue de cette campagne. Des suppléments sont prévus pour la suite.

    Soyons optimistes 🙂

     

    À bientôt.

    Sandro

     



     


  • Celtica : la cité des marins

     

    « C’est Bakir Meyo, bonjour. J’espère que vous allez bien. Moi pas très fort… la fin de l’année 602 approche et nous allons entrer dans le cœur de l’hiver.

    Je suis tombé malade. Mes bronches sont en feu et la toux ne veut pas me lâcher. La fièvre à présent. Je ne peux pas me permettre de me chauffer correctement dans le minuscule taudis où je vais certainement finir mes jours.

    Encore si misérable malgré mon grand âge. Je n’ai pratiquement rien pour me soigner et de toute façon, je n’ai aucune confiance dans les médicaments « spécial pauvres » auxquels j’ai accès.

    J’espère que je vais passer cet hiver. Il le faut. Sinon vous n’aurez jamais la fin de cette histoire.
    Je suis emmitouflé dans des couvertures en buvant des boissons chaudes mais ça ne suffit pas. Froid. Je grelotte en regardant les stalactites de glace qui pendent à l’encadrement de la fenêtre, dehors. Il neige encore.
    Tellement crispé par le froid que mon dos me fait mal.

    Je ne sais plus si je vous en avais déjà parlé, mais depuis très jeune j’avais commencé à avoir des problèmes de dos. Depuis la Glacière déjà. Dès les premières années que j’ai passées dans le Tharseim.
    Mais à l’époque j’étais plein de vigueur et mes douleurs n’étaient que passagères. Cela s’est aggravé avec le temps, les petits accidents se sont accumulés. Je n’ai pu accéder qu’à des emplois très durs physiquement, pendant la plus grande partie de ma vie. Maintenant je suis voûté en permanence.

    Vieille petite chose qui semble plier sous le poids d’un fardeau trop lourd. Quand je me regarde dans un miroir, j’ai moi-même du mal à reconnaître le jeune homme que j’ai été.

    Mais lorsque j’ai découvert Celtica je n’avais que vingt-trois ans. J’avais encore le regard vif, la tête bien droite et le dos solide.

    Nous étions au tout début de l’automne lorsque j’ai quitté Wudest dans le super-camion de Josh Rollmann.
    Dans les grandes plaines nordiques, le temps change brutalement à partir de l’équinoxe. L’été est déjà frais et assez pluvieux, d’autant que la brume de pollution voile le soleil même quand il fait beau.

    Il tombait de la pluie ou de la neige fondue par intermittence depuis une semaine quand nous sommes partis. Puis les averses se sont transformées en orages et les orages en tempêtes. Le mauvais temps nous a accompagnés pendant tout le voyage ou presque.

    lightning

    Il y eut cette année-là de terribles inondations dans les plaines de l’est du Tharseim. Le sol est tellement recouvert de béton et d’asphalte qu’il ne parvient plus à absorber les surplus d’eau. Quand les canaux et les égouts débordent c’est la catastrophe.

    Le camion de Josh était équipé de roues énormes, mais aussi d’un système de coussins d’air lui permettant de passer en mode amphibie. Nous traversions les cités-dortoirs et les complexes industriels inondés, où des gens avaient tout perdu et même parfois la vie.
    Si je n’avais pas insisté, nous ne nous serions pas arrêtés plusieurs fois pour porter secours à des gens qui risquaient leur vie pour ne pas abandonner leur véhicule, leur logement ou leur commerce. Les secours étaient complètement débordés. Désolé pour le mauvais jeu de mot, c’est venu tout seul.

    En tant que transporteur-livreur, Josh n’avait pas le droit de se permettre le moindre retard sur l’itinéraire prévu. En acceptant de venir en aide à des gens, il prenait le risque de perdre son travail et devait redoubler d’efforts pour rattraper le retard. Concrètement, chaque détour ou contretemps était ensuite rattrapé sur ses heures de sommeil.
    Ce genre de situation montre bien l’absurdité d’un système où l’argent est plus important que la vie des individus. Le routier qui ne respecte pas ses horaires et ses délais perd son job, qu’il ait sauvé la vie de toute une famille ce n’est pas le problème de l’entreprise.

    Alors nous nous arrêtions le moins possible. À travers les vitres de ce camion, j’ai été le témoin impuissant de scènes épouvantables.

     

    Le Tharseim est tellement immense qu’il nous fallut trois semaines de route pour atteindre Celtica. Et nous ne traversions que l’est du pays.

    Ce périple me donna l’occasion de décrocher des différentes drogues que j’avais consommées. Heureusement, j’avais évité les produits les plus addictifs et le sevrage se passa relativement bien.

     

    La capitale maritime des nordiques est située au sud-est du Tharseim, au bord de la Mer du Silence. Probablement la partie du pays où le climat est le plus clément. Cette mer doit son nom à ses eaux calmes en comparaison de l’océan tumultueux auquel elle donne accès.

    La Mer du Silence forme un grand golfe entre le Cap de Lorendal au nord et la Péninsule de Cruzco au sud. La frontière entre la péninsule nemosiane et le Tharseim est délimitée par l’embouchure de la Mer Orange.

    Du fait de sa proximité avec la frontière, Celtica sert de porte d’entrée à de nombreux migrants espérant entrer dans le Tharseim. Ombrouge pour ceux qui viennent de l’ouest ou du centre, Celtica à l’est.

    Certains migrants tentent même de remonter la Mer Orange dans des embarcations de fortune pour essayer d’entrer illégalement par la mer. Beaucoup se noient. Josh m’avait même dit qu’il soupçonnait les autorités nordiques de couler elles-mêmes les navires clandestins.

     

    Celtica est une mégapole un peu moins glauque que Wudest. Malgré la grisaille omniprésente, commune à toutes les villes de ce pays, elle bénéficie d’un meilleur climat et surtout d’un accès à la mer.
    Par chance il faisait beau le jour de notre arrivée. Je n’avais pas vu le déferlement des vagues ni senti l’iode marin depuis huit ans. Ces sensations ravivèrent des souvenirs de mon enfance et c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai passé des heures à contempler la mer.

    Storm on the beach

     

    Josh avait droit à quelques jours sur place pour effectuer ses livraisons, prendre un peu de repos et repartir avec d’autres marchandises. Il en a profité pour me faire visiter la cité et ses environs.

    La mégapole elle-même ressemble à toutes les autres. En revanche une partie de la côte est constituée de falaises abruptes et les Thars ne les ont pas détruites. Un coin de nature préservé à quelques kilomètres à peine des gigantesques tours de verre et de métal.

    Ces falaises allaient devenir mon refuge, l’endroit où je suis venu prendre mon petit bol d’air régulier, pendant les années que j’ai passées à Celtica.

     

    Au bout de trois jours, Josh m’avait dégoté une petite chambre juste en périphérie du ghetto réservé normalement aux migrants. Officiellement il n’y a pas de ghettos, mais les logements dans les quartiers thars sont en général trop chers pour les étrangers. J’ai eu la chance d’habiter un modeste quartier nordique pendant quelques temps.
    Josh était ami avec une famille d’ouvriers thars, qui après trois générations de labeur acharné, étaient parvenus à devenir propriétaires dans un petit immeuble de leur quartier accolé aux bidonvilles des étrangers. Ils acceptèrent de me louer ce minuscule logement et m’aidèrent même à trouver mon premier boulot à Celtica.

    Puis Josh a dû repartir. Nous nous sommes promis de rester en contact par le biais de ses amis, quand il serait de passage dans la région. Après une accolade virile mais non moins émouvante, il a repris la route.

    J’ignorais alors que je ne le reverrais jamais plus.

    Il n’en avait parlé à personne, mais les quantités d’alcool qu’il ingurgitait à longueur de temps avaient totalement détruit son foie. Il mourut d’un cancer fulgurant trois mois plus tard, laissant derrière lui une veuve et deux orphelines.

    J’ai arrêté de boire.

    Je repense encore à ce grand bonhomme avec des larmes aux yeux, soixante-dix ans plus tard. Il m’avait sorti de la panade, m’avait aidé à me relever. Il avait même refusé que je dépense mes économies ridicules pour participer à notre voyage, si ce n’est pour payer ma nourriture.

    Ce gars m’avait donné un des plus beaux coups de pouce de ma vie, et je n’ai jamais pu lui rendre la pareille. À peine lui dire merci.

    Paix à ton âme, mon ami.

     

    ♦♦♦

     

    Celtica était au départ le nom de toute la région, avant qu’elle ne soit plus qu’une seule et unique mégapole. Une région qui a failli devenir un pays à part entière. Il y a dans ce coin une forte identité culturelle, héritée semble-t-il d’une très ancienne peuplade de la Terre antique.

    D’après ce qu’on m’a raconté, les fondateurs de la première ébauche d’agglomération étaient tous issus d’une même partie de l’hémisphère nord, sur notre monde d’origine. Des pays différents mais qui partageaient des racines communes.

    Pendant les premiers siècles de la colonisation, il paraît que c’était une région magnifique. Tout en étant très fiers de leur culture, ses habitants étaient ouverts aux étrangers et ils ont toujours été des grands voyageurs. Si vous croisez un Thars loin de son pays, vous avez deux chances sur trois qu’il vienne de Celtica.

    Le Tharseim n’a jamais voulu leur laisser l’autonomie. L’histoire locale est pleine de rebondissements politiques, parfois même d’affrontements armés.

    Au fil du temps, compromis et accords commerciaux ont fini par avoir raison des velléités d’indépendance de Celtica. Les autres nordiques les ont intégrés, grignotés, assimilés. Sans violence, lentement mais sûrement. Comme ils sont en train de le faire avec la Nemosia.

     

    factory

     

    Mon premier emploi à Celtica n’était pas terrible, mais j’ai pu gagner un peu d’argent dès mon arrivée.

    On n’embarque pas du jour au lendemain sur un navire de pêcheurs quand on est migrant. Il faut d’abord faire ses preuves dans les nombreux élevages de poissons, crustacés ou coquillages qui bordent la côte.

    Mais je savais qu’un jour je pourrais prendre la mer à nouveau. J’ai pris mon mal en patience et suis allé travailler dans des exploitations intensives, dont la cadence infernale et les maltraitances sur les animaux n’avaient rien à envier à leurs homologues terrestres de la région de Wudest.
    Par la suite j’ai compris pourquoi la progression des migrants souhaitant devenir marins se fait de cette manière.

    Si la Mer du Silence porte ce nom, c’est en raison du calme de ses courants à l’origine. Puis la pollution et l’exploitation des ressources en ont fait un monstrueux dépotoir marin. Un vaste cimetière aquatique encombré de débris flottants, de déchets toxiques et de cadavres de migrants clandestins. Elle porte d’autant mieux ce triste nom.

    Pour aller pêcher des espèces sauvages n’ayant pas encore disparu, il faut aller très loin des côtes. Beaucoup de chalutiers parcourent des centaines de milles nautiques pour rejoindre l’Océan Armaz, tellement immense que même les Thars n’ont pas encore réussi à le dépeupler de toutes ses espèces.

    Il faut partir des semaines en mer, voire des mois, affronter la violence de l’océan et revenir avec des cargaisons de poissons découpés, conditionnés et congelés à même le bateau-usine.

    Les pêcheurs ne recrutent donc que des ouvriers qui ont au moins une petite réputation de fiabilité et des affinités avec l’élément marin. Il faut d’abord faire ses preuves dans les élevages côtiers, puis dans les petits navires qui raclent encore les fonds de la Mer du Silence, avant d’embarquer pour l’océan.

    Ainsi passa l’automne puis l’hiver.

    Cette année 532 avait été particulièrement intense pour moi. J’ai failli mourir lynché, puis j’ai failli connaître l’amour. Ensuite je me suis lié d’amitié avec un Thars, tout en devenant l’ennemi d’un compatriote calsy. J’ai connu la rue, les squats. La toxicomanie.

    Puis finalement j’étais arrivé à Celtica, et j’allais y rester un petit bout de temps.

    Les premiers mois se sont déroulés sans évènement marquant, si ce n’est quand j’ai appris le décès de Josh par les propriétaires de mon logement. Des nordiques avec qui je m’entendais plutôt bien au début, mais ça n’a pas duré.

    J’ai gravi lentement les étapes imposées pour pouvoir prendre à nouveau la mer, enfin. J’ai fait de très belles rencontres et d’autres horribles. Je vous raconterai tout ça très bientôt.

    Enfin, j’espère. »

    – Bakir Meyo, “Errances d’un Calsy dans le Nord”, extrait n°6 [journal illégal]

    Ghetto calsy de Svalgrad, ouest du Tharseim – Année 602 du calendrier planétaire.

     



     


  • Réécriture, le « dressage » du roman

     

    Salut les ami(e)s.

    Pour changer un peu cette semaine je vais vous parler de moi, ou plutôt de l’avancée de mon roman. C’est que je n’en ai pas parlé ici depuis mon tout premier article sur ce blog, au mois de juin, dont vous noterez le titre hyper original : Bienvenue !

    Dans cet article, j’expliquais que j’avais terminé un premier jet et que j’avais commencé la réécriture de cette histoire. Aujourd’hui quelques mois plus tard, où qu’il en est ce roman ?

     

    Eh bien, les choses ne se sont pas du tout déroulées comme je l’avais prévu. Ma réécriture n’est toujours pas terminée. Pour vous donner une vision d’ensemble, je vais reprendre cette histoire depuis son commencement.

    La planète Entom Boötis m’avait demandé pas mal de travail en amont du roman. Tout en commençant à noter des idées de personnages et d’histoires, parce que l’idée de départ vient toujours de là, j’ai d’abord travaillé le contexte. À quoi pouvait ressembler ce monde, quelles formes de vie allaient le peupler… Comment les humains y sont parvenus, comment ils ont pu s’adapter et finalement développer leurs propres sociétés.

    Ça m’a pris du temps, d’autant plus qu’en parallèle je travaillais sur le jeu de rôle Chiaroscuro, un projet initié par mon frère et qui nous a pris du temps aussi. Nous sommes dans les dernières phases de relecture et de peaufinage, le mois prochain sera lancée une campagne de financement participatif et nous allons publier le livre principal du jeu en janvier ou février.

    J’occupais aussi un emploi salarié et j’aime pratiquer d’autres activités. Je n’avais donc pas beaucoup de temps à consacrer à mon roman, ni d’énergie créative. Je n’avançais que par périodes.

    Logo(logo de Chiaroscuro que j’ai réalisé)

     

    Au début de cette année 2015, ayant bientôt terminé ce que je m’étais engagé à faire pour Chiaroscuro, j’ai décidé de me consacrer plus sérieusement à mon roman. Le décor était planté, des premiers chapitres étaient griffonnés et je n’avais plus qu’à faire vivre cette histoire. Je me suis donc mis à l’écrire assez intensément.

    C’est juste après que j’ai découvert les Studios Godefroy, qui proposent des formations pour aider les romanciers à construire des histoires captivantes. En mars, j’ai intégré le Club des Écrivains dont je fais toujours partie.

    J’y ai appris pas mal de techniques et d’erreurs à éviter, autant sur l’écriture elle-même que sur les différentes manières de raconter une histoire. Pour certaines techniques je les connaissais déjà, mais sans avoir forcément pris le temps de les analyser en détails comme le fait Fred Godefroy. En échangeant avec d’autres auteurs sur notre forum, j’y ai aussi trouvé beaucoup de motivation pour m’accrocher et ne pas baisser les bras à la moindre difficulté.

    Mais parmi les nouvelles choses que j’ai apprises, certaines m’ont poussé à remettre en question ce que j’avais écrit ou projeté d’écrire.

    J’étais en plein milieu de l’écriture et je commençais à voir des failles dans mon roman. Certaines scènes étaient inutilement longues, n’étaient pas assez intenses ou n’avaient pas vraiment un rôle important dans l’histoire. Je ne m’étais pas suffisamment préparé.

    Tant pis. Suivant les conseils de Fred, je me suis dit qu’il fallait arriver au bout de cette première version avant de tout remettre en question. Écrire une histoire complète, déjà. Puis viendrait le temps de la réécriture.

    Au printemps, j’ai eu la chance de partir une dizaine de jours au Vietnam. Cette occasion me semblait idéale pour faire une pause entre le premier jet et la réécriture, aussi je m’étais fixé pour objectif de terminer mon histoire avant de partir. Et j’y suis arrivé.

     

    Baie-de-Halong

     

    Le voyage était super et je suis rentré en France plein d’enthousiasme. J’ai imprimé tout mon roman pour commencer à le relire en prenant des notes directement sur les feuilles. Même si l’impression demande un peu d’encre et de papier, je la trouve très utile.

    Depuis que j’avais écrit dans un fanzine imprimé, je savais qu’on ne regarde pas un texte de la même manière sur l’écran de l’ordinateur ou sur papier. En tout cas chez moi, la différence est flagrante. Voir mes mots imprimés sur une page m’aide à prendre du recul, à voir mon texte non plus comme mon petit univers personnel, mais comme un roman qui sera partagé. Et donc à voir plus facilement les erreurs, les répétitions, les passages à améliorer voire supprimer.

    En mai, j’étais déjà à fond dans la réécriture. Boulot salarié aussi à côté, et puis c’est une période où le potager demande pas mal de soins… Arrive le mois de juin et les vacances scolaires qui se profilent à l’horizon. Comme je travaillais dans une école, j’allais avoir deux mois de vacances et donc plus de temps libre.

    Étant arrivé à réécrire un tiers de mon histoire en un mois et demi, je me suis dit qu’il était temps d’ouvrir un blog pour commencer à faire connaître un peu l’univers du roman. Je me suis fixé d’écrire un article par semaine tout en avançant sur ma réécriture, avec un peu de jardinage et de balades histoire de s’aérer aussi.

    En fait, je n’ai jamais eu autant de visites que cet été et ce début d’automne.

    J’habite un joli village médiéval en montagne. À la belle saison, il est fréquent que des amis viennent me rendre visite. Ils en profitent pour prendre l’air, se baigner dans la rivière, profiter du soleil et du calme de la nature… Par un curieux hasard de circonstances, dès la fin juin, les amis de passage se sont succédé chez moi. J’ai aussi hébergé une amie le temps qu’elle trouve un logement et du coup, j’ai eu du monde à la maison pendant plus de trois mois sans interruption.

    Je ne m’en plains pas, très heureux d’avoir eu autant de visites cette année. Mais il faut bien reconnaître que ça n’a pas été très bénéfique pour le roman. J’ai consacré l’essentiel de mon temps libre à mes amis et aux concerts, fêtes, balades et sorties que nous avons faits ensemble. Et bien sûr à mon potager, qu’il ne fallait pas oublier d’entretenir avec la canicule que nous avons connue.

    J’ai quand même avancé un petit peu sur mon roman mais concrètement, j’arrivais juste à assurer mon article hebdomadaire sur ce blog. Le site internet n’avait d’ailleurs pas été facile à prendre en main les premiers temps… L’été est vite passé.

     

    ♦♦♦

     

    Et maintenant ?

    Ce mois-ci, j’ai répondu présent à la demande de Marjorie Moulineuf, une amie auteure qui venait de finir sa réécriture, elle, et souhaitait mon avis sur son roman. Ce n’est pas le genre de chose qu’on me demande tous les jours et j’ai beaucoup de respect pour son travail. Alors j’y ai passé un peu de temps, pour lui faire un retour digne de ce nom.

    En passant j’ai adoré son histoire, un mélange de comédie et de SF très dynamique et drôle, c’était un plaisir. Elle a du talent Marjorie !

    Je me suis vraiment replongé dans mon roman ce mois d’octobre, ça y est enfin, m’y revoilà. Pour certaines scènes c’est juste du peaufinage, pour d’autres une réécriture complète. Aujourd’hui ma nouvelle version a dépassé la moitié de l’histoire.

    Mais vous vous demandez peut-être, pourquoi réécrire en fait ? Un écrivain n’est-il pas capable de sortir un roman comme ça, du premier coup ?

    Désolé de vous décevoir si vous aviez cette croyance mais non, absolument pas. Aucun auteur n’est capable d’écrire un texte sans défauts du premier coup. Même pas les plus grands.

    Il faut prendre du recul sur sa création, la faire lire à d’autres personnes pour bénéficier de regards extérieurs qui ne verront pas forcément les choses comme nous. Qui pointeront des défauts qui nous échappent tellement l’écriture est prenante. Une personne découvrant notre texte aura un regard neuf, qu’on ne peut plus apporter quand on connait l’histoire par cœur et qu’on a la tête « dans le guidon ».

     

    chaton-miroir(crédit photo : Christian Holmer)

     

    Écrire une histoire, c’est un peu comme planter un arbre ou adopter un animal. Certains auteurs comparent même cet acte de création avec un accouchement. En tant qu’homme je ne saurai jamais ce que ça fait d’accoucher, mais c’est vrai que l’écriture d’un roman y ressemble.

    Cela prend des mois voire des années à construire, on traverse des périodes d’exaltation et d’autres de profonde remise en question, parfois même de déprime. On y met beaucoup d’énergie, de temps, de réflexions et d’émotions. Puis un jour, on a pondu une histoire avec un début, un milieu et une fin. Parfois cette naissance, cette révélation de notre création au monde, est d’ailleurs très douloureuse.

    Mais je pense que cet « accouchement » n’est que la première étape en réalité.

     

    Revenons à ma comparaison avec l’arbre ou l’animal.

    Votre arbre est planté en terre, c’est un bon départ. Mais ce n’est que le début pour lui, il ne demande qu’à se développer dans de bonnes conditions et pour cela, il faut l’entretenir. L’arroser, lui donner des éléments nutritifs, le débarrasser d’éventuelles maladies ou parasites, mais aussi le tailler. Si vous voulez que votre arbre donne de beaux fruits, il faut encourager certaines branches et en supprimer d’autres, lui donner une forme.

     

    prunier(prunier, domaine public)

     

    C’est un peu la même chose avec un animal. Une fois sevré, il lui reste toute sa vie devant lui. Il faut s’en occuper correctement pour qu’il ait le plus de chances de s’épanouir avec vous. Et pour cela, il faut aussi l’éduquer, le « dresser ». Comme l’arbre abandonné et mal entretenu, l’animal non éduqué risquera de vous créer plus de problèmes que de joies.

    Un arbre, un animal, un jardin… un roman commence un jour son existence. Ce départ vous a demandé pas mal d’énergie et d’attentions déjà, mais vous ne pourrez pas toujours être là pour le protéger, il va devoir se débrouiller pour faire face au monde.

     

    Il faut tailler, dresser, éduquer son roman pour lui donner toutes les chances d’avoir un beau parcours et de faire son chemin sereinement.

    Si vous livrez votre histoire brute de décoffrage, sans l’avoir retravaillée, améliorée, vous offrez au monde un animal sauvage, indiscipliné, hirsute et peu abordable.

    Agrunia(crédit photo : Tambako the Jaguar)

     

    Un arbre mal taillé qui donnera des fruits moins nombreux, moins sucrés et moins gros, parce que vous ne lui avez pas apporté le meilleur de vous-même. Vous avez bâclé votre travail en étant trop pressé(e) d’obtenir des résultats.

    Je pense que c’est malheureusement une erreur fréquente parmi les personnes qui écrivent des histoires. On y passe tellement de temps, on y met tellement d’efforts que lorsque arrive le moment de réécrire, on en a marre. D’autant plus que c’est fastidieux, bien moins exaltant que la création elle-même. On veut voir tout ce travail se concrétiser, on perd patience.

    Et c’est un piège.

     

    Il vaut mieux se consacrer à peu de choses dans sa vie, en y mettant du cœur, plutôt que miser sur la quantité et la rapidité en voulant tout, tout de suite.

    Au final on risque de passer pour quelqu’un de pas très sérieux qui bâcle ce qu’il fait.

    Patience et persévérance. La qualité avant tout dans l’écriture. Avant la quantité, et surtout avant l’égo impatient qui pousse certaines personnes à rêver de détrôner les plus grands auteurs alors qu’elles n’ont pas accompli la moitié de leur travail.

    Si l’égo est la source de notre inspiration et de nos envies, il peut aussi être un piège terrible qui nous pousse à commettre des erreurs et à subir leurs conséquences. Tout un équilibre à trouver, là aussi. Pas seulement pour les artistes.

     

    Rien n’est jamais parfait dans nos créations, mais le meilleur moment pour décider quand une œuvre est terminée, c’est quand on a le sentiment qu’on lui a donné le meilleur dont on était capable. Tant qu’on n’a pas atteint ce moment, on peut faire mieux.

    Par impatience, on risque de regretter d’avoir rendu notre histoire publique sans lui avoir donné toute la valeur qu’elle mérite. C’est mon opinion.

     

    baby-cat(crédit photo : cut-cuts-the-cutter)

     

    Quand j’aurai terminé cette réécriture, je vais demander l’avis de regards extérieurs sur l’ensemble de mon roman. À des lecteurs et lectrices avisés. Je ne doute pas que ces personnes trouveront des choses à améliorer, des détails qui m’auront échappés. Sans doute y aura-t-il encore des modifications, des passages à réécrire. Et alors seulement, il sera temps de vous proposer cette histoire dans son intégralité.

    J’ai hâte que ce jour arrive mais il ne faut pas brûler les étapes.

    Chaque méandre du chemin a son importance. Si on regarde trop le sommet de la montagne on risque de trébucher. Alors profitons du paysage à chaque étape, il n’est jamais pareil. Prenons le temps de regarder où nous posons nos pieds, d’apprécier chaque moment, même les difficiles.

    Les choses devraient aller un peu plus vite pour mon roman à présent. Je vous tiendrai bien sûr au courant sur ce blog…

    À bientôt, prenez soin de vous.

     

    Sandro